Société

Vers une perte de sens du travail médico-social

Économiste, Économiste

Dans les activités médico-sociales, deux conceptions du travail s’entrechoquent. La première, sociale-historique, portée par les salarié.es, valorise la création d’un lien, durable et approfondi, dans le soin. La seconde, industrielle et marchande, portée par les politiques publiques, consiste en une somme d’actes. Cette contradiction génère une perte de sens pour les travailleurs du secteur et une dégradation de leurs conditions de travail.

Plusieurs études récentes sur le travail dans différents secteurs d’activités alertent sur une tendance à une perte de sens au travail par les salarié.es. On pense bien sûr au succès rencontré par l’ouvrage de Thomas Coutrot et Coralie Perez[1], ainsi qu’à de nombreux articles de presse[2] relatifs à ces questions et se diffusant particulièrement rapidement depuis la crise sanitaire liée au Covid.

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Notre contribution s’inscrit dans la lignée de ces travaux tentant de mieux identifier et comprendre les vecteurs de perte de sens, dans des secteurs d’activité sociaux et médico-sociaux, appelés également « métiers du lien », occupés en grande majorité par les femmes.

Dans le cadre de plusieurs recherches présentées ci-dessous portant sur l’aide à domicile, les Ehpad et le handicap, nous avons pu identifier deux conceptions contradictoires du travail et du service dans les activités médico-sociales : une conception sociale-historique, portée par les salariées du secteur, et une conception industrielle et marchande, portée par les politiques publiques et véhiculée par les outils de suivi de l’activité mis en place dans les services et établissements enquêtés[3]. Nous proposons ici de mettre en visibilité ces deux conceptions qui co-existent et sont en tension voire contradictoires. Il s’agira notamment de montrer que, dans certains cas, le travail prescrit sur la base d’une conception industrielle et marchande du service est vécu comme un obstacle à la réalisation d’un travail de qualité pour les salariées, qui passe par une possibilité effective de répondre aux besoins des personnes accompagnées. C’est ainsi à une forte tendance à une perte de sens au travail par les professionnelles de l’accompagnement que l’on assiste dans ces activités.

L’article ci-dessous reprend les conclusions d’une analyse institutionnelle et socio-économique multi-niveaux menée dans le cadre d’une recherche-action menée par le Creg (Centre de Recherches en Économie de Grenoble) et l’Uni


[1] Thomas Coutrot, Coralie Perrez, Redonner du sens au travail, une aspiration révolutionnaire, Le Seuil, 2022.

[2] Anne Rodier, « Quand les DRH parlent de « sens au travail » », Le Monde , 28 juin 2023 ; Mathilde Hardy, « Comment donner du sens à son travail ? », Ouest France, 11 octobre 2022. ; Julien Damon, « Sens du travail, sens au travail », Les Echos, 16 mars 2023.

[3] Ces outils sont divers selon les établissements et services enquêtés, et selon les différents secteurs d’activité. Il peut s’agir principalement de logiciels de suivi du travail et/ou de l’activité à destination des usagères et usagers (dossier numérique unique de l’usager, dossier patient informatisé, dans les Ehpad et le handicap), ou bien de plans d’aide et de tarification (dans l’aide à domicile).

[4] Yves Clot, « L’aspiration au travail bien fait », Le journal de l’école de Paris du management, 99, 23-28, 2013.

[5] Les termes utilisés diffèrent selon les secteurs et établissements.

[6] La compréhension et la mise en visibilité de cette évolution de fond, au profit d’une conception à la fois industrielle et marchande du service médico-social ont déjà fait l’objet de plusieurs publications, notamment (Anne Le Roy, Emmanuelle Puissant, « Evolution des référentiels politiques dans l’aide à domicile », Revue Internationale de l’Economie Sociale, n°342, n° 342, pp. 69-84, 2016 et Anne Le Roy, Emmanuelle Puissant, Sylvain Vatan, « Quand la nouvelle gestion publique contribue à requalifier l’activité d’un secteur : le cas de l’aide à domicile », Recma. Revue internationale de l’économie sociale, n° 365, pp. 100-115, 2022).

[7] Pour aller plus loin voir Anne Le Roy, « Les méthodes d’évaluation », in Yann Guy, Anaïs Henneguelle, et Emmanuelle Puissant, Grand manuel d’économie politique, Dunod, pp.665-676, 2023.

Anne Le Roy

Économiste, Enseignante-chercheuse en économie, au CREG de l’université Grenoble-Alpes

Emmanuelle Puissant

Économiste, Enseignante-chercheuse au CREG, à l’université Grenoble Alpes

Rayonnages

SociétéSanté

Notes

[1] Thomas Coutrot, Coralie Perrez, Redonner du sens au travail, une aspiration révolutionnaire, Le Seuil, 2022.

[2] Anne Rodier, « Quand les DRH parlent de « sens au travail » », Le Monde , 28 juin 2023 ; Mathilde Hardy, « Comment donner du sens à son travail ? », Ouest France, 11 octobre 2022. ; Julien Damon, « Sens du travail, sens au travail », Les Echos, 16 mars 2023.

[3] Ces outils sont divers selon les établissements et services enquêtés, et selon les différents secteurs d’activité. Il peut s’agir principalement de logiciels de suivi du travail et/ou de l’activité à destination des usagères et usagers (dossier numérique unique de l’usager, dossier patient informatisé, dans les Ehpad et le handicap), ou bien de plans d’aide et de tarification (dans l’aide à domicile).

[4] Yves Clot, « L’aspiration au travail bien fait », Le journal de l’école de Paris du management, 99, 23-28, 2013.

[5] Les termes utilisés diffèrent selon les secteurs et établissements.

[6] La compréhension et la mise en visibilité de cette évolution de fond, au profit d’une conception à la fois industrielle et marchande du service médico-social ont déjà fait l’objet de plusieurs publications, notamment (Anne Le Roy, Emmanuelle Puissant, « Evolution des référentiels politiques dans l’aide à domicile », Revue Internationale de l’Economie Sociale, n°342, n° 342, pp. 69-84, 2016 et Anne Le Roy, Emmanuelle Puissant, Sylvain Vatan, « Quand la nouvelle gestion publique contribue à requalifier l’activité d’un secteur : le cas de l’aide à domicile », Recma. Revue internationale de l’économie sociale, n° 365, pp. 100-115, 2022).

[7] Pour aller plus loin voir Anne Le Roy, « Les méthodes d’évaluation », in Yann Guy, Anaïs Henneguelle, et Emmanuelle Puissant, Grand manuel d’économie politique, Dunod, pp.665-676, 2023.