Politique

Le peuple à venir (2/2) : pour un « contre-populisme »

Philosophe

Nuit debout, mouvements féministes, Gilets Jaunes », soignants pendant le Covid-19, révolte des banlieues après le meurtre de Nahel Merzouk, lutte contre la réforme des retraites, Soulèvements de la terre … Il ne s’agit de fusionner ou de subsumer tous ces mouvements sous un « programme » et dans une « stratégie » uniques mais plutôt, dans notre actualité très déterminée (celle du combat contre le RN et ce qu’il représente), de relancer leur énergie et de trouver leur intersection mouvante, évolutive, en vue de renforcer le peuple.

Le peuple du front « populaire » n’est pas donné, d’une certaine façon on peut aller jusqu’à dire qu’il n’existe pas, qu’il est « à venir ». C’est sur ce point que je voudrais proposer une hypothèse. Ce n’est évidemment pas le lieu de reprendre la discussion théorique qui a occupé récemment encore toute une partie de la pensée démocratique dite « radicale » à propos de la construction des « hégémonies » politiques, et de la façon dont elles résolvent le problème que pose la pluralité des intérêts « émancipateurs » et des « sujets » historiques hétérogènes, pour la transformer en une force politique plutôt qu’en un facteur de paralysie et de rivalités idéologiques permanentes.

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Il est bien clair, cependant, que c’est de ce problème des « contradictions au sein du peuple » qu’il s’agit, et que nous avons affaire à lui de façon urgente, ne serait-ce que parce que (j’y reviendrai plus bas) le Rassemblement national est désormais capable de rallier des partisans dans presque toutes les classes de la société française (ce à quoi précisément le macronisme a complètement échoué) : il semble en avoir trouvé une solution qu’on peut qualifier de populiste. Le Rassemblement National est bel et bien en passe de trouver son « peuple » : qu’en sera-t-il de la gauche ? Du « populiste » au « populaire » il y a à la fois une incompatibilité radicale, et un voisinage, une analogie troublante de la question posée qui doit nous solliciter au premier chef.

Voici donc mon hypothèse de travail sur ce point. Je ne pense pas que nous puissions en rester aux deux façons classiques de penser la formation d’un peuple au sens politique du terme, qui ont alimenté les théories et les stratégies de « l’hégémonie » dans la tradition de la gauche européenne et mondiale, marxiste ou non : celle qui raisonne en termes de groupes sociaux dont il s’agirait de faire la liste et de concilier les intérêts (les ouvriers ou plus généralement les salariés, les travailleurs indépendants et notamment le


[1] À dessein je n’inclus pas les manifestations des agriculteurs, le mouvement de solidarité avec la Palestine, la mobilisation contre l’antisémitisme et, symétriquement, contre l’islamophobie, d’autres encore qui ne me semblent pas avoir acquis la même capacité de structurer des demandes collectives d’émancipation, mais on peut discuter.

[2] Engin Isin, « Theorizing acts of citizenship » in Engin F. Isin and Greg M. Nielsen (eds), Acts of Citizenship, Palgrave Macmillan, 2008.

[3] Communiqué de presse des quatre partis de gauche proposant la formation d’un « Nouveau Front Populaire écologique et social », en date du 10/06/2024 : « Pour une réponse républicaine au risque démocratique ».

[4] C’est aussi une façon de s’attaquer à la racine du discours mystificateur qui présente l’affrontement entre le « rassemblement national » et le « front populaire » comme un combat entre « deux extrémismes » symétriques, largement diffusée par les politologues du « centre ».

[5] Georges Bataille, La Structure psychologique du fascisme, Éditions Lignes, 2009 [1933].

[6] Olivier Schwartz, « Vivons-nous encore dans une société de classes ? Trois remarques sur la société française contemporaine » in La vie des idées, 22 septembre 2009.

[7] Wolfgang Streeck, Du temps acheté : La crise sans cesse ajournée du capitalisme démocratique, Gallimard, Collection NRF Essais, 2014.

[8] C’est-à-dire des moyens encore plus brutaux que ceux qui sont mis en œuvre actuellement à l’échelle européenne. On aura noté avec intérêt la présence sur la liste du Rassemblement National (en troisième position) de Fabrice Leggeri, ancien directeur de l’agence Frontex, responsable de milliers de morts en Méditerranée, par ailleurs sous le coup d’enquêtes pour prévarication et violences dans l’exercice de son mandat.

[9] Robert Castel, Les métamorphoses de la question sociale, Gallimard, 1995.

Étienne Balibar

Philosophe

Notes

[1] À dessein je n’inclus pas les manifestations des agriculteurs, le mouvement de solidarité avec la Palestine, la mobilisation contre l’antisémitisme et, symétriquement, contre l’islamophobie, d’autres encore qui ne me semblent pas avoir acquis la même capacité de structurer des demandes collectives d’émancipation, mais on peut discuter.

[2] Engin Isin, « Theorizing acts of citizenship » in Engin F. Isin and Greg M. Nielsen (eds), Acts of Citizenship, Palgrave Macmillan, 2008.

[3] Communiqué de presse des quatre partis de gauche proposant la formation d’un « Nouveau Front Populaire écologique et social », en date du 10/06/2024 : « Pour une réponse républicaine au risque démocratique ».

[4] C’est aussi une façon de s’attaquer à la racine du discours mystificateur qui présente l’affrontement entre le « rassemblement national » et le « front populaire » comme un combat entre « deux extrémismes » symétriques, largement diffusée par les politologues du « centre ».

[5] Georges Bataille, La Structure psychologique du fascisme, Éditions Lignes, 2009 [1933].

[6] Olivier Schwartz, « Vivons-nous encore dans une société de classes ? Trois remarques sur la société française contemporaine » in La vie des idées, 22 septembre 2009.

[7] Wolfgang Streeck, Du temps acheté : La crise sans cesse ajournée du capitalisme démocratique, Gallimard, Collection NRF Essais, 2014.

[8] C’est-à-dire des moyens encore plus brutaux que ceux qui sont mis en œuvre actuellement à l’échelle européenne. On aura noté avec intérêt la présence sur la liste du Rassemblement National (en troisième position) de Fabrice Leggeri, ancien directeur de l’agence Frontex, responsable de milliers de morts en Méditerranée, par ailleurs sous le coup d’enquêtes pour prévarication et violences dans l’exercice de son mandat.

[9] Robert Castel, Les métamorphoses de la question sociale, Gallimard, 1995.