Politique

Patrons et patronats saisis par les élections

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Quand le patronat et les grands patrons se taisent, les petits patrons et certaines organisations entrepreneuriales périphériques prennent la parole. Plus, pour une fraction non négligeable du petit patronat, qui n’est plus stigmatisé comme poujadiste, c’est un moment de revanche : pouvoir exprimer ses affects ses émotions voire ses dégouts en un seul mot : « Bardella ».

« Qu’est-ce qu’on fait s’ils gagnent en 2027 ? On prend le maquis ? »
Patrick Martin, Président du Medef, décembre 2023.

« Nous ne faisons pas de politique », « L’entreprise est un lieu neutre ». « Notre seul parti c’est l’entreprise », entend-t-on souvent dans les milieux patronaux.

Et de fait, si on les compare aux grands patrons états-uniens, peu de grands patrons interviennent dans les débats politiques quotidiens ou s’immiscent dans les compétitions électorales.

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La période actuelle est un formidable prisme sur l’état actuel du patronat (au sens des organisations patronales) et des mondes patronaux français. L’observer est une véritable expérience de chimie sociale qui montre les fractures des mondes patronaux et les capacités et incitations différentielles à prendre la parole.

Pour aller vite, quand le patronat et les grands patrons se taisent, les petits patrons et certaines organisations entrepreneuriales périphériques prennent la parole. Plus, pour une fraction non négligeable du petit patronat, qui n’est plus stigmatisé comme poujadiste, c’est un moment de revanche : pouvoir exprimer ses affects ses émotions voire ses dégouts en un seul mot : « Bardella ».

La réserve patronale française

Ce que donnent à entendre les principaux porte-parole des patronats en France : je gère mon entreprise, je remplis mon carnet de commandes, je crée des emplois et c’est tout. Les chefs d’entreprise hexagonaux, si on les compare aux grands patrons états-uniens, n’interviennent que peu dans les débats politiques quotidiens et s’immiscent peu ouvertement dans les compétitions électorales voire après.[1]

L’entreprise aux États-Unis a les mêmes droits qu’une personne physique (arrêt de la Cour Suprême Citizens United v. FEC, 2010) ; contrairement à nombre de grands patrons états-uniens qui utilisent largement les finances de l’entreprise et leurs propres fortunes pour financer des think tanks, des candidats, et pour se payer des pages de publicité dans la presse (les aditorials), les grands patrons français ne peuvent pas (limitation de la publicité politique, et du financement partisan et électoral) ou ne veulent pas (risque de discréditation) s’introduire frontalement dans le débat public. À quelques exceptions près.

Les plus connus sont Vincent Bolloré qui a mis sa fortune personnelle au service de ses idées très clivées et clivantes, en utilisant ses médias comme caisse de résonance, alors que les autres investisseurs de presse ont davantage une action pondérée voire plus indirecte concernant la défense de leur propre entreprise ou plus généralement de l’économie de marché et du cercle de la raison, comme seule branche pensable de l’économie de marché. À minima un journal doit promouvoir une pédagogie économique : « Je constate avec un peu de surprise – encore qu’en France, il ne faut jamais être surpris – que les gens ne connaissent pas bien l’économie, donc on se fait critiquer par des gens qui ne connaissent pas bien le sujet dont ils parlent »[2] ; avec tout un nuancier dans le contrôle direct ou indirect de la ligne éditoriale.

Les Leclerc, eux, ont revendiqué un droit élargi à la parole, notamment sous forme d’encarts de presse : « Nous n’hésitons pas à sortir franchement du territoire commercial pour prendre la parole sur des sujets de société : la construction européenne, la liberté d’entreprendre, la politique culturelle, voire la politique tout court. »[3]

Quelques dizaines de grands patrons sont intervenus régulièrement dans les dernières décennies dans le débat public, dans la « politique au sens noble du terme », dans la « vie de la Cité » : un droit mais aussi un devoir. « Comme vous avez aussi un devoir de générosité, vous avez un devoir d’organisation de la Cité. » (Claude Bébéar, entretien, 2016). « Les chefs d’entreprise ont une légitimité pour parler de tout ce qui touche à l’économie y compris en matière de mesures, de politique économique. Je trouve que les chefs d’entreprise doivent s’exprimer. S’ils ne s’expriment pas, il ne faut pas qu’ils se plaignent. […] Sur tous les sujets qui peuvent concerner la vie de l’entreprise et l’affecter en bien ou en mal, il n’est pas illégitime que les chefs d’entreprise s’expriment. » (Henri de Castries, entretien 2016)[4].

Cet investissement, hors du seul périmètre de l’entreprise, peut se faire sous des formes diverses, sur des supports et devant des auditoires conformes aux hauteurs grands-patronales : think tanks ou cénacles de réflexion, participation à des commissions étatiques, production de rapports, écritures de livres, participation à des débats ou interventions devant des grandes écoles ou, investissement dans des conseils d’administration d’établissements universitaires ou d’organisations caritatives et humanitaires. Et bien sûr travail mécénal.

Dans les 20 dernières années, sans prétendre à l’exhaustivité, ce sont, Claude Bébéar, Michel Pébereau, Benoit Potier, Louis Schweitzer, Jean-Dominique Senard, Henri de Castries, Jean-Louis Beffa, Pierre-André de Chalendar, Paul Hermelin, Pierre Pringuet, Denis Kessler, Jean Peyrelevade, Xavier Fontanet, Antoine Frérot, Emmanuel Faber[5] ou Jean-Marc Borello et Pascal Demurger[6] (pour l’ESS). Voire de manière plus ponctuelle et sous d’autres formes, les nouveaux entrepreneurs, type Xavier Niel, Jacques-Antoine Granjon, Pierre Kocziusko-Morizet et le mouvement des Pigeons de 2012. Tous n’étaient pas des « patrons d’État » (c’est-à-dire des anciens élèves de grandes écoles (X, Mines, Ponts ou ENA) passés par l’administration voire des cabinets ministériels avant de pantoufler dans une grande entreprise. Les filières de recrutement pour les grandes entreprises ont changé et nombre de ces porte-paroles, voire de ces « parrains » du capitalisme français sont en train de passer la main.

Nombre d’entre eux ont été pourtant encore actifs en 2020-21 et ont utilisé largement le support « Tribune » dans la presse, puis placards publicitaires, pour vanter les réformes à venir du capitalisme durable, responsable, éthique, bienveillant, « d’intérêt général »….

La presse a été saturée d’encarts publicitaires bienveillants : « Ceci n’est pas du luxe. L’équilibre alimentaire pour tous », Leclerc, « Agression sexuelle. Homophobie. Discrimination. Racisme. Sexisme. Ni dehors, ni à bord » UBER, « Tous les produits Garnier sont certifiés par Cruelty Free International » « Garnier s’engage pour la Green Beauty » (L’Oréal), « Pour une planète plus verte et une société́ plus fraternelle » (Paprec), « Être une banque responsable c’est accompagner nos clients vers un avenir durable, intégrer les enjeux environnementaux dans nos actions et soutenir la société qui nous entoure » Neuflize, « La transformation écologique c’est notre raison d’être » Veolia, « Pour accélérer la transition, changeons la nature de l’épargne » (BNP).

Les effets de la loi Pacte qui a réformé le code civil (article 1833)[7] ont été sensibles, puisque nombre d’entreprise se sont dotées d’une « raison d’être » plus ou moins débattue en interne ou confiée à des professionnels de la présentation entrepreneuriale, voire d’exigences plus fortes, pour celles qui sont devenues « entreprises à mission » voire être certifiées B Corp.

Toutes ces transformations auraient abouti à la « démiltonfriedmanisation » des entreprises, au rebours de la formule friedmanienne : « The discussions of the “social responsibilities of business” are notable for their analytical looseness and lack of rigor. (« The Social Responsibility of Business Is to Increase Its Profits. »)

On pourra rechercher des traces éparses de ces bonnes résolutions durant les quinze derniers jours, mais ce qui domine c’est le silence grand-patronal devant la nouvelle situation politique.

Parler le patronat en tant de crise

Analyser les réactions, les silences, les bruissements des voix patronales est un un formidable analyseur de l’état du patronat français[8].

La question des rapports organisations patronales (et aussi patrons)/extrême droite donne lieu depuis de nombreux mois à de nombreux articles de presse qui scrute l’évolution du « cordon sanitaire ». Laurence Parisot, alors présidente du Medef avait clairement dénoncé le FN dans un Piège Bleu Marine (Calmann Lévy, 2011). En 2017 et en 2022, au second tour, le Medef avait appelé à faire barrage à Marine Le Pen.

Toutefois le problème ne se pose plus en province puisque nombre de députés RN sont devenus des députés comme tous les autres et peuvent s’inviter ou être invités dans de nombreuses manifestations[9]. Et, à l’Assemblée, les groupes d’intérêt peuvent prendre appui sur eux. Comme les medias l’ont fait, le RN est devenu un parti fréquentable.

Il a été invité dans toutes les auditions pré-électorales qui ont fait se succéder devant un auditoire patronal tous les candidats. Il n’y a pas eu en revanche d’invitation au siège des organisations comme cela se fait notamment pour les partis considérés comme « responsables » et de « gouvernement ». Cependant la CPME a reçu Jordan Bardella à son événement « Impact PME » de 2023, où il a été particulièrement bien accueilli (comme il l’a été plus tard au salon de l’agriculture). Le Medef avait invité Marion Maréchal-Le Pen à son université d’été pour discuter sur la « montée des populismes ». Devant le tollé suscité par cette invitation elle a été annulée. Par ailleurs, Jordan Bardella a pu faire sans incident la tournée des écoles de commerce mais ne s’est pas risqué dans les universités.

La chronique journalistique a consacré beaucoup de place à la tentative des dirigeants RN de « séduire les grands patrons ». Le groupe des Horaces[10] a été largement médiatisé comme étant le cheval de Troie et l’agent recruteur du parti dans les milieux patronaux et dans la haute administration; tout comme ont été médiatisés les déjeuners en salle ou dans des salons privés Chez Laurent (une étoile Michelin, plat aux alentours de 60 à 80 euros) entre Marine Le Pen, accompagnée parfois de Jordan Bardella et de Jean-Philippe Tanguy, avec un chaperonnage distancié dit-elle de Sophie de Menthon organisatrice de rencontres dans sa petite organisation patronale ETHIC ; ou plus modestement à la brasserie La Lorraine. Depuis quelques jours les rencontres auraient lieu dans un appartement discret parisien. Pour le moment les seuls proches patrons du RN, outre Vincent Bolloré (qui veut unir les droites extrêmes) qui n’a pas besoin de s’exprimer ne sont guère des patrons (re)-connus sauf le couple François Durvye-Pierre-Édouard Stérin (ce dernier exilé fiscal et 102° fortune de France).

Loïk Le Floch-Prigent et Henri Proglio ont un carnet d’adresses, mais assez usagé, et terni par leurs condamnations. Le ralliement d’éventuelles « prises » significatives occupent rumeurs et dîners en ville[11].

D’abord il convient de faire un rappel chronologique. Les trois organisations patronales représentatives ont tenté dès le lendemain des élections européennes de proposer une position commune. Faute de pouvoir trouver un accord, elles ont rédigé des communiqués séparés et leurs dirigeants ont complété ces prises de parole.

Ainsi, le 10 juin, la CPME « le réseau préféré des entrepreneurs,(..) parce que 99,9% des entreprises françaises sont des TPE-PME », « souhaite que soit confirmée une politique de l’offre visant à soutenir les entreprises, la seule à même de générer cette croissance indispensable à notre pays. Ramener les prélèvements obligatoires sur les entreprises, et notamment les impôts de production, au niveau de la moyenne européenne est, à nos yeux, un objectif à atteindre pour redonner de la compétitivité aux entreprises françaises et restaurer notre souveraineté économique »[12].

Quant au Medef, qui entend représenter l’ensemble des entreprises (plutôt que les chefs d’entreprise) françaises communique le 11 juin : qu’il « entend réaffirmer la position économique qui a toujours été la sienne : il soutiendra les projets favorables aux réformes économiques et à l’ambition européenne, dans le respect de la démocratie sociale ». Son président, sans doute sous l’impulsion des « territoriaux »[13] du Conseil Exécutif du Medef, déclare cependant au Figaro le 19 juin : « Le programme du RN est dangereux pour l’économie française, la croissance et l’emploi » Celui du Nouveau Front populaire l’est tout autant, voire plus[14].

Enfin l’U2P (Union des entreprises de proximité), regroupant des syndicats d’artisans et de commerçants et de professions libérales, est l’organisation qui est la plus en porte à faux, car elle n’a pas pu trouver une position commune en son sein. Parce que c’est l’organisation la plus exposée à la pénétration du Rassemblement National, qui, comme nous le verrons parle (dans tous les sens du terme) aux petits patrons.

Quant à l’AFEP (Association Française des Entreprises Privées), le vrai cœur du très grand patronat français (118 adhérents mais toutes les grandes entreprises françaises mondiales) il faudra attendre le 17 juin pour qu’elle interpelle sur « Le risque majeur est celui du décrochage durable de l’économie française et européenne que les tentations d’isolement international et de fuite en avant budgétaire ne feraient que renforcer », (…) Cette situation compromettrait le maintien de l’emploi et de notre modèle social auquel nous sommes tous attachés ».

Le cadrage initial est donc strictement économique autour du risque d’instabilité financière, et de l’imprévisibilité. La défense collective des entreprises sera économique ou ne sera pas. La question climatique passe à l’arrière-plan[15] et le cordon sanitaire ne tient plus.

En effet les trois organisations (l’AFEP n’intervient plus) vont ensuite sans « faire de politique », ignorer la question centrale, d’un point de vue tout à la fois économique, et éthique, des politiques migratoires, comme socle du vivre ensemble dans la société.

La réunion de la salle Gaveau du 20 juin où les trois centrales auditionnent les têtes de liste aux élections législatives est symptomatique. Il n’est question dans les présentations et les demandes d’explication que d’économie. Le dirigeant des EDC (patrons chrétiens) pose une question sur la subsidiarité mais pas sur la dignité ou la solidarité. Les organisations patronales, malgré les appels du pied de l’actuelle majorité, et malgré les rappels des fondamentaux de l’économie de l’offre, ne sont pas venues à sa rescousse. Bruno Lemaire, Salle Gaveau dit, filant la métaphore footballistique, qu’il est souvent plus difficile de jouer « à domicile », entendant par là, la complicité qui doit régner entre macronistes et chefs d’entreprise. Il recueille de bien meilleurs applaudissements que d’autres, sans pour autant récolter d’approbation positive.

Et, tout en stigmatisant la folie dépensière des oppositions, tout en dénonçant « les extrêmes », les organisations patronales soulignent que « l’extrême gauche » est plus dangereuse.

Le RN n’est jamais toutefois dénoncé pour ses positions xénophobes et l’U2P va plus loin en insinuant une compréhension de ceux qui sont tentés par le vote RN. Outre la mise en avant de l’exaspération de nombreux commerçants devant les manifestations répétées (chute de chiffre d’affaires, et vandalisme), son président relève ainsi (salle Gaveau) : « Je comprends que l’infirmière qui ne peut pas entrer dans certaines cages d’escalier ou l’artisan qui s’est fait voler sa camionnette soit tenté par ce chemin, qui reste pourtant dangereux pour notre économie ».

Les autres organisations patronales, beaucoup moins médiatisées ont fait valoir leur position de manière plus ou moins franche et tranchée.

Les EDC (chrétiens) ont rappelé les 6 grands principes de la Doctrine Sociale de l’Église en insistant plus sur la subsidiarité que sur la dignité ou la solidarité, malgré une évocation générale de « l’économie du bien commun ».

Le CJD (Jeunes Dirigeants) est allé plus loin en appelant à voter : « Dirigeants responsables, allons voter » et en rappelant ses principes : la responsabilité, le respect de la dignité humaine, la solidarité et la loyauté[16]. Dans une tribune, sa présidente est montée d’un cran : « Face à la montée d’idées autoritaires portées par l’extrême droite, les entrepreneurs responsables sont inquiets de notre place dans l’Europe et dans le marché unique », en explicitant ensuite les quatre fondements de l’engagement au CJD. Les dirigeants de l’économie sociale et solidaire (UDES) sont moins tranchants[17] en rappelant cependant que ces entreprises portent un modèle de société qui conjugue équité, solidarité, responsabilité et utilité sociale.

La question est plus complexe dans cette nouvelle organisation présidée par le DG de la MAIF, Pascal Demurger, Impact France, qui revendique 15 000 adhérents, qui prend nettement position : « une victoire de l’extrême droite signifierait le déclin économique de la France (…) Nous considérons qu’un gouvernement d’extrême droite fragilisera notre économie, empêchera toutes ces transformations d’intérêt général et affaiblira profondément notre Nation ». Ce qui amène des départs de l’organisation.

Situation sensible aussi dans le domaine des entreprises du numérique, puisque la tribune, « Pour faire gagner la France et l’Europe de l’innovation de France Numérique » a pu être interprétée comme un rejet des extrêmes, position patronale habituelle, ou comme une condamnation de l’extrême droite.

Le grand silence des grands patrons

Quant aux patrons individuels, ils se taisent presque tous.

Pourquoi ? Dans son éditorial[18] André Comte-Sponville, grand conférencier devant les patrons les incite, avec sa verve chantournée habituelle, à ne pas prendre position politique pour éviter qu’on ne les accuse de défendre leurs intérêts de classe, d’en rajouter dans l’alliance des élites et de briser la « neutralité » voire la « laïcité » de leur entreprise qui n’est pas seulement la leur. Mais ils leur conseillent, puisqu’ils se plaignent que les français ne comprennent rien à l’économie, de profiter de la conjoncture pour leur expliquer l’économie.

Ils se taisent donc, comme à leur habitude, pourrait-on dire, car ils ont pour la plupart érigé leur devoir de réserve électorale en impératif absolu, qu’il s’agisse des grands patrimoniaux (Arnault, Bettencourt, Wertheimer, Pinault ou Bouygues), à l’exception de Vincent Bolloré bien sûr, si présent dans son mutisme, et Elisabeth Badinter qui a signé une tribune appelant à ne voter ni RN ni LFI.

Emmanuel Macron bien que considéré comme le chef de l’État le plus pro-business par les patrons français, n’est guère soutenu. Sans doute s’agit-il là d’un contrecoup de la distance qu’il a mise avec la plupart des grands patrons français qui sont certes embarqués dans certains voyages officiels à l’étranger ou conviés à Choose France avec les grands patrons étrangers, mais sont peu reçu à l’Élysée. Tout le CAC 40 serait derrière lui mais la dissolution comme tactique pyromane n’a été guère appréciée par un milieu soucieux de prévisibilité. Seuls Nicolas Dufourcq (BPI) et Pascal Cagni (Business France) appellent en vain les patrons à renvoyer l’ascenseur pour celui qui leur a créé un « environnement pro-business ».

Lorsque des patrons prennent la parole c’est en effet vers cette solution qu’ils se dirigent en élargissant souvent leur refus à l’ensemble de la gauche, NPF.

L’argumentaire est assez semblable tel qu’il apparaît dans le texte initié par Marguerite Bérard (étiquetée à droite) et Stéphane Boujnah[19] (qui se dit social-démocrate) et publié dans Les Échos : l’élection particulière de 2024 « crée un risque inédit que notre pays soit gouverné dans les prochaines semaines par des forces qui proposent le repli, la fermeture et la régression, ou bien par des forces qui invitent à la confrontation, à la division et à des transformations radicales de notre économie. (..)La colère doit être entendue. L’inquiétude doit être respectée. Le doute doit être compris. Mais le repli, la fermeture, la confrontation, le désordre et le chaos ne sont pas des solutions. » Personne n’est nommé, personne n’est dénoncé, mais le spectre de l’intervention des 73 (parmi lesquel-les – 15 femmes sur 73 –, peu de très grands patrons exécutifs[20]) est limité. Comme si cette « élection particulière » ne méritait pas un décryptage plus poussé en termes de valeurs. Les signataires ensuite n’interviennent plus ensuite avant l’élection.

Cet argumentaire ni-niste va être décliné explicitement ou implicitement dans d’autres tribunes publiées dans la presse régionale. Notamment avec la prise de position rare du groupe Auchan et de la famille Mulliez, avec d’autres entreprises des Hauts de France[21] : en appelant à voter pour des partis « qui portent des messages de confiance, de coopération et de responsabilité », en pointant : « Certaines de ces mesures (…) pourraient entraîner des conséquences dévastatrices pour les entreprises et les collaborateurs de celles-ci », « Alors que les nuages gris s’accumulent, les entreprises ont besoin urgemment de stabilité, de cette ouverture et de confiance en l’avenir, pour répondre aux grands défis économiques, environnementaux, sociétaux et technologiques d’aujourd’hui et de demain.

Au-delà, quelques rares chefs d’entreprise dénoncent individuellement le RN, le Président de Biocoop Henri Godron, Michel de Rosen, Président du CA de Faurecia, Laure et Charlotte Gallimard ou Pascal Demurger (cf son intervention récente dans La Tribune. Mais pour la majorité des patrons c’est « Inquiétude et vigilance » ou « je ne fais pas de politique » comme disait le directeur des galeries Lafayette sur France Inter le 21 juin 2024.

Et plus loin encore, malgré les suffrages non négligeables promis au NFP, ce ne sont que quelques groupes qui appellent à voter à gauche en ne laissant pas comme disait autrefois Jean-Marc Borello les « valeurs de l’entrepreneuriat » à d’autres.

Sous la bannière de « Entreprendre c’est politique » 700 entrepreneurs veulent promouvoir d’autres valeurs que « le cash, la croissance, et la réussite individuelle » (..) Il ne s’agit plus seulement de se contenter d’œuvrer à l’évolution de notre propre entreprise, mais à se mobiliser pour qu’ensemble nous puissions sécuriser un futur respectueux où n’importe qui, peu importe sa nationalité, son genre, son orientation sexuelle, ses choix familiaux, son handicap, ses origines ou son statut racial, conservera sa liberté d’entreprendre en France ». En appelant à voter pour la coalition de gauche.[22]

Et la galaxie des « influenceurs/influenceuses », « créateurs-trices de contenu, vivant sous des régimes entrepreneuriaux disparates, s’est majoritairement mobilisée contre le RN dans des tribunes publiées par Médiapart « Nous, créatrices, créateurs, personnalités d’Internet, appelons à la mobilisation » et L’Obs « L’accession de l’extrême droite au pouvoir serait un péril pour nous toutes et tous ».

Au bout du bout de l’espace on ne trouvera qu’une seule voix connue dans le monde patronal, Mathieu Pigasse qui estime que « le retour de la bête immonde du siècle précédent mais avec des nouveaux masques ». Le Rassemblement national (RN) la « même haine, le même rejet de l’autre, le même repli sur soi, la même société de la peur et de la défiance» (..)« Ce bloc de gauche a comme caractéristique de présenter l’ensemble des composantes ou des sensibilités de la gauche (…) donc il ne faut pas se tromper d’ennemi, il y a d’un côté un bloc de gauche uni et il y a de l’autre l’extrême droite ».

Des petits patrons qui donnent de la voix

Il est très difficile de mesurer avec précision le vote des chefs d’entreprise. Parce que dans les échantillons des entreprises de sondage portant sur 2000 à 3000 personnes, ils forment un groupe très restreint, dont les intentions de vote fluctuent en fonction de la composition du sous-échantillon. Il suffit que l’échantillon du jour comprenne un peu plus de restaurateurs ou d’entrepreneurs du bâtiment et un peu moins de patrons de services informatiques ou culturels pour que les résultats fluctuent considérablement alors même que les intentions de vote (pour les européennes puis pour les législatives) pour Jordan Bardella restent stables à 31% puis à 35% (après le ralliement de Marion Maréchal et d’Éric Ciotti).[23]

Si l’on reprend le Rolling de l’IFOP, on s’aperçoit que la catégorie très peu précise de « Dirigeant.es d’entreprise) connait des variations, au quotidien, considérables : entre 25 et 51%. Une journée, les intentions de vote pour le NPF ont même dépassé celles du RN. Par ailleurs, cette catégorie « dirigeant.es » apparaît mobilisée puisque le dernier sondage donne une participation de 68% pour cette catégorie.

Deux sondages ont été réalisés à partir d’un échantillon ciblé de seuls patrons de TPE-PME. Ainsi Les Échos ont-ils publié un sondage IFOP-Fiducial (auprès de 686 dirigeants de TPE moins de 20 salariés réalisant au moins 50.000 euros[24]) qui donnait 15% d’intention de voix pour le RN (plus 5% pour Reconquête) et 20% pour Renaissance. L’autrice omettait de souligner que la gauche (dispersée certes), pointait à 33% en additionnant l’ensemble des intentions de vote.

Dans une enquête différente et plus récente (20 et 21 juin), selon Legalstart (1207 interrogés dont 85% d’entreprises de moins de 10 salariés) « Ensemble » est donné comme « offrant le plus de soutien aux entrepreneurs » avec 34,7 %, RN (et alliés LR) à 27,5 %, NFP à 18,1 %, Les Républicains à 14% et Reconquête à 6,1 %. Selon l’enquête : « Les entrepreneurs d’Ile de France et de Bourgogne soutiennent à près de 40 % Ensemble, tandis que les régions Occitanie, Normandie, Corse, Nouvelle Aquitaine et Provence Alpes Côte d’Azur privilégient le Rassemblement National. Les entrepreneurs exerçant dans les secteurs de l’artisanat et du commerce privilégient le programme du Rassemblement National, tandis que l’industrie, le conseil et les services choisissent de soutenir le camp présidentiel. À noter : le Nouveau Front Populaire réussit son meilleur score sur le secteur de l’information et de la communication – qui regroupe les entreprises de technologie et les startups ».

Cela va donc à l’encontre de la plupart des enquêtes sur le long terme qui notaient (mais à partir d’échantillons peu définis) une montée du FN-RN parmi les petits patrons. Jérôme Fourquet dans La France d’après (Seuil 2003), relevait même, qu’au second tour de 2022 les patrons avaient pour Marine Le Pen voté à 51% alors qu’ils n’avaient voté qu’à 33% au second tour de 2017.

Quoi qu’il en soit du chiffre exact, il apparaît qu’une partie non négligeable des petits patrons (selon les métiers et selon les régions) ont désormais mis leurs espoirs dans le Rassemblement National.

Ce vote désormais considéré comme dicible, normal voire légitime (le RN est une manière comme une autre d’exprimer ses revendications et ses souffrances), il n’est plus taxé désormais du stigmate infamant de poujadisme, terme qui a disparu dans la presse pour pointer l’incongruité de comportements politiques considérés comme impossibles à tenir. Cela tient au fait que les électorats du RN se sont largement diversifiés et cela tient aussi au fait que la parole frontiste s’est banalisée et ne pose plus de problème de réception. Tout au contraire, on assiste dans de nombreux endroits une normalité et une respectabilité du 100% FN comme le montre Benoit Coquard.[25]

Si les grands patrons se taisent, nombre de petits patrons peuvent enfin prendre la parole. Si la publicisation d’un vote FN-RN pouvait entraîner des conséquences économiques négatives (boycott, perte de clientèle), la situation a fondamentalement changé et dans de très nombreuses occurrences, l’affichage RN est bon pour les affaires.

Ces petits patrons affiliés ou sympathisants RN partagent avec leurs entourages un ensemble de convictions et de dégoûts qui peuvent s’exprimer désormais sans retenue : les thématiques RN font recette plus encore que dans le reste de la population, avec certaines spécificités : poids de l’État paperassier et fiscal, méfiance à l’égard des bureaucraties européennes, insécurité indexée sur l’immigration, prix des carburants et acharnement sur l’automobiliste vache à lait, sentiment de déclassement, social et résidentiel, dénonciation des branleurs et des fainéants, sentiment de payer pour des assistés principalement des étrangers qui par ailleurs « roulent en BM », concurrence fantasmée ou réelle d’entrepreneurs étrangers censés travailler au noir, aigreur par rapport à ceux d’en haut, y compris les grands patrons, accumulant les passe-droits, pour ne rien dire de la gamme du ressenti de ne plus « être chez soi » et d’avoir perdu pied dans son propre pays, de ne plus pouvoir sortir dans la rue sans voir des femmes voilées et d’être poursuivis par des écologistes punitifs.

On retrouve aussi dans cette population les quelques short cuts qui permettent d’expliquer son vote et se trouver en affinité avec son entourage : « on les a tous essayés », « ils ne peuvent pas être pires », « le jeune, là, il est bien ». La haine d’Emmanuel Macron est aussi un fort liant. Et le discours anti-élites et anti-feignants propre « d’une conscience triangulaire »[26] permet de régler ses comptes à ceux du haut, les richissimes patrons du CAC 40 et ceux du bas, les assistés, les cassos et tous ces étrangers à la charge de leurs impôts les « gris », les « bamboulas » ou les « bonobos ».

De plus, un petit patron peut, en ce temps de levée des interdits, être aussi un recruteur d’électeurs. Dans certains territoires ruraux où les classes populaires sont très majoritaires, le petit patron autochtone enraciné qui a réussi à être stabilisé dans son indépendance financière peut faire figure de modèle et de leader d’opinion.

Certains garagistes, patrons de bar, transporteurs, entrepreneurs du bâtiment disposent ainsi d’une autorité statutaire qui peuvent leur assurer un droit particulier à la parole. On s’est beaucoup interrogé sur le succès d’un parti qui est la plupart du temps une coquille vide, sans structures, sans réunions, sans militants. La force du RN vient sans doute, outre les usages diversifiés d’internet ciblés selon les utilisateurs, du fait d’une infusion lente mais irréversible des thématiques portées par ses dirigeants et leur capacité à restituer politiquement, dans des termes presque semblables, des peurs, des dégoûts, des émotions, et des convictions de leur base électorale. On a parlé de « lepénisation des esprits » pour signifier l’aptitude de l’entreprise familiale lepéniste à imposer quelques grandes thématiques de l’agenda politique. Désormais, une partie de la population vit dans ce liquide amiotique frontiste et les petits patrons peuvent jouer un rôle non négligeable dans son entretien en autorisant ces prises de parole dans leur commerce ou leur entreprise, en l’animant, en l’initiant. Pas besoin de structures partisanes dès lors, pour recruter des électeurs.

Parmi les récentes thèses soutenues sur le FN-RN, on peut reprendre la parabole du coiffeur. Le métier de coiffeur est doublement fatiguant puisqu’il implique une station debout prolongée et aussi pour certaines opérations, des conditions de travail difficiles. Il implique aussi la maîtrise d’un stress très fréquent comme dans toute situation de contact avec des publics, qui, là demeurent longtemps dans le salon et parlent fréquemment de leurs problèmes.

La coiffeuse avec laquelle je discute à Lyon me fait part ainsi de la charge mentale[27] qui pèse sur elle du fait de la nécessité qu’elle a d’écouter ses client.es, d’entendre leurs angoisses, de recueillir leurs confidences familiales ou de santé, voire d’avoir à écarter sans blesser des conversations sur des sujets glissants et/ou conflictuels qui pourrait la heurter voire heurter la clientèle en attente : bien sûr actuellement la politique et ses avatars notamment le discours sur l’insécurité ou l’immigration.

Un bon exemple inverse peut être relevé dans le travail de Félicien Faury[28] qui a fait de Michel A., 58 ans artisan coiffeur un de ses informateurs privilégiés : « Ah mais c’est, c’est catastrophique. Vous restez là, là [se place devant la vitre de son salon] : en face, il y a le centre médico-social (..) 80% des gens que tu vois ici [devant le centre], ils sont pas des européens. Non, non. Vous rentrez dedans… Moi j’ai deux clientes qui travaillent en face, elles me disent mais on n’en peut plus. Et je comprends, je comprends qu’elles en peuvent plus. » « Moi j’ai une cliente qui travaille à la Poste, elle me dit : mais il faut voir les comptes bancaires qu’ils ont. Les gamins à 18 ans ils ont 20-30 000 euros sur les comptes bancaires ! Je sais pas, comment on fait ? Compte courant, avec 20-30 000 euros. »

« Je vous dis, [je suis] d’origine arménienne, j’ai plein de clients portugais, italiens, espagnols et tout… On a fait la France, les étrangers hein, on a fait la France. Les autres… [soupir], ils ont fait quoi ? Si : remplir les prisons, et profiter du système. »

Je renvoie à la thèse et au livre, pour documenter ces différentes facettes de la vision du monde de ce coiffeur du sud de la France. Mais ce qui est intéressant c’est la capacité de ce coiffeur à sinon faire des « petits », du moins à publiciser ses opinions. Lors de l’élection du maire FN de sa petite ville il est interviewé sur une chaîne nationale de télévision, il « passe à la télé » et donne son opinion positive. Il raconte alors : « Ah ben ! [rire] J’avais plein de clients, de clientes, qui passaient [il désigne la vitrine de son salon et mime une personne qui lève le pouce en souriant, l’air encourageant. »

Selon Félicien Faury « Tout en déclarant ne pas discuter spontanément de ces sujets avec ses client.es (« moi c’est pas un truc que j’aborde… tant que tu sens que la porte elle est pas ouverte, tu peux pas »), j’ai pu me rendre compte au gré de mes observations que « la porte s’ouvrait », pour reprendre son expression, assez facilement, qu’il y ait ou non d’autres client.es que moi dans le salon. »

Combien de portes se sont ouvertes ainsi durant les derniers mois ? Combien vont s’ouvrir d’ici le 7 juillet dans tous les commerces un moment jugés « non-essentiels » ? Nombre de petits patrons ont (re)-pris la parole. On peut se demander si les organisations patronales et les porte-voix du patronat continueront à se défausser ou à se murer dans un silence très « économique » dans tous les sens du terme.

Peut-être d’aucuns ont-ils pris leur parti : « Ils n’y connaissent rien, on va leur apprendre l’économie » ; « Bardella est un brave type » ; « Ils vont devenir pragmatiques au pouvoir et on va les “meloniser” » ; « Mieux vaut un gouvernement RN qu’un Front populaire » ; « Ils auront plus besoin de nous que nous d’eux ».

Aux deux bouts de l’échelle patronale, l’accommodement peut se faire, au nom d’un franc réalisme : « Quels que soient les résultats des élections, nous devrons de toute façon travailler avec ceux qui sont aux responsabilités, selon le vote des Français. », selon le président du Medef du Loiret. « Nous avons réussi à gagner du pognon sous Hollande qui considérait que l’ennemi c’est la finance. Ce ne sera pas différent avec le RN, les milieux d’affaires sont préparés », selon un avocat d’affaires.

Même si l’on parle de licenciements, de suspension d’investissement voire d’exil fiscal, dans l’hypothèse d’une victoire du NFP.

Après tout, Jordan Bardella veut « mettre de l’ordre dans les comptes et dans la rue ». Après tout, pour lui l’économie ce sont « quelques convictions, beaucoup de bon sens et beaucoup de pragmatisme » et son ambition est de prouver qu’il est le parti du « sérieux budgétaire » et qu’il pourra « déverrouiller toutes les contraintes qui pèsent sur la croissance ». En attendant la publication de son programme économique annoncé : « M.l’entreprise ». Mais toutes les autres pièces du programme sont connues.

Il reste une dernière chance aux patronats pour sauver la face. Avant le 7 juillet.

NDLR : Michel Offerlé a récemment publié Patron, chez Anamosa


[1] « President Donald Trump assembled a table of 17 high-powered executives for the first meeting of his business council Friday.(..) Schwarzman, the king of private equity, is the chairman of Trump’s business council. As chairman, he selected its members, and told CNBC that the president « loved them all. » » Business Insider, 3 février 2017.

[2] « Les gens ne connaissent pas bien l’économie Bernard Arnault balaye les critiques sur les milliardaires », Le Parisien, 26 janvier 2023.

[3] Michel-Edouard Leclerc, Du bruit dans le Landerneau : Entretiens avec Yannick Le Bourdonnec, Albin Michel, 2004. Il est l’un des seuls chefs d’entreprise importants à avoir été pris en photo avec un dirigeant RN (sur X en septembre 2023)

[4] Michel Offerlé, Ce qu’un patron peut faire. Une sociologie politique des mondes patronaux, Gallimard, 2021.

[5] Emmanuel Faber, Chemins de traverse, Albin Michel, 2011 ; Ouvrir une voie, Guérin, 2022.

[6] Pascal Demurger, L’entreprise du XXIe siècle sera politique ou elle ne sera plus, L’aube, 2019.

[7] « Toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés. La société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité. »

[8] Parmi beaucoup d’autres Elsa Conesa, « L’opération séduction du Rassemblement national auprès des patron », Le Monde, 7 décembre 2023 ; Renaud Honoré, « Rallier l’establishment le rêve contrarié du RN », Les Échos, 14 décembre 2023 ; Nicolas Massol, « Des législatives 2022 aux européennes : Comment le Rassemblement national est devenu totalement banal », Libération, 22 avril 2024, et, pour une synthèse, voir Isabelle Chaperon,  « Législatives 2024 : chez les patrons français, la tentation du Rassemblement national », Le Monde, 21 juin 2024, et Renaud Honoré, « Ces trois semaines qui ont ébranlé le patronat », Les Échos, 27 juin 2024. Et encore, Denis Lafay, « Face au RN, où sont les patrons ? », La Tribune, 18 décembre 2024.

[9] Voir parmi d’autres : Kevin Mauvieux député de l’Eure remet ainsi, à la salle communale d’Épaignes (Eure), vendredi 5 janvier 2024 devant près de 200 personnes invitées, des médailles de l’Assemblée nationale. Il faudrait aussi aller voir du côté des CCI.

[10] Les journalistes ont souvent été friands de la percée supposée du FN dans les milieux entrepreneuriaux. Les clubs Audace ou le Cardinal ont reçu, il y a quelques années, une couverture médiatique bien au-delà de l’effectivité de leurs activités.

[11] Dans un climat de secret complotiste : « Je lui ai trouvé un charisme et une stature personnelle. Il donne envie », souffle un grand capitaine d’industrie français qui a récemment partagé un dîner avec le président du RN autour de quelques convives. Interdiction formelle de divulguer son identité dans Sébastien Lignier, « La méthode Bardella »,Valeurs Actuelles.

[12] Un paragraphe du communiqué est consacré à la décarbonation de l’économie et la transition énergétique qui « doit retrouver une démarche de bon sens »

[13] Le Medef est organisé en fédérations (Métallurgie, bâtiment…) en en unions patronales régionales et départementales (les territoires). Parmi les représentants des territoires donc de province siègent ainsi des chefs d’entreprise plus petites que celles qui sont dans les fédérations généralement dominées par des grands groupes.

[14] Un appel du 25 juin réplique : 1000 diplômé·es des grandes écoles refusent les consignes de vote du Medef : ni représentatif, ni responsable. Ils se présentent comme : acteurs et dirigeants économiques, entrepreneurs : « Alors que l’extrême droite est plus que jamais aux portes du pouvoir, le programme du Nouveau Front Populaire, dans sa diversité, nous semble le seul à pouvoir prévenir le pire »

[15] À ma connaissance, la dernière prise de position d’un.e patron.ne du CAC 40 date du 6 juin dans Le Monde, « L’Europe doit et peut accélérer, simplifier et innover pour transformer l’essai du Green Deal », Estelle Brachlianoff, DG de Véolia.

[16] Communiqué du 11 juin 2024

[17] « L’UDES propose aux futurs députés de s’engager en faveur d’un nouveau contrat social », Communiqué 20 juin. Par ailleurs, les assureurs mutualistes dénoncent dans un communiqué le RN le 14 juin 2024.

[18] « Réserve et subtile influence », Challenges, 20 juin 2024.

[19] Stéphane Boujnah est l’un des rares grands patrons français qui a eu une expérience militante puisqu’il a co-fondé SOS-Racisme en 1984. Il est très anti-mélenchoniste « Sa stratégie est celle du chaos. Elle affaiblit le débat public, fragilise nos institutions et mène inéluctablement à la violence. » et décrit ainsi la RN dans Le Point du 6 juin 2024 « Le Rassemblement national n’est pas le Front national d’il y a quarante ans. Pas plus qu’il n’est l’extrême droite qui a été au pouvoir en France de 1940 à 1944. C’est une évidence. Mais il n’en est pas moins un parti illibéral, nationaliste et autoritaire ».

[20] Mais des chefs d’entreprise connus dans le débat public, Senard, de Chalendar, Lévy, Clamadieu, McInness, Pépy, Pérol, Ricol, de Romanet, de Bentzmann ou aussi un macronien historique Jean-Marc Borello et l’ancien président du Medef Pierre Gattaz. Il fallait un texte assez élastique pour faire tenir ensemble des sensibilités dites à droite et en peu à gauche.

[21] « Tribune d’entrepreneurs engagés des Hauts-de-France », Les Échos et La Voix du Nord, 24 juin 2024.

[22] Un appel d’une trentaine de patrons appelant à voter pour le NFP : « Les patrons de gauche sont comme les poissons volants, pas la majorité de l’espèce, disait-on. C’est vrai » est aussi publiée dans Libération le 28 juin.

[23] Contrairement aux États-Unis où certaines études permettent de cerner le comportement électoral des « très riches » et notamment parce que ces derniers font connaître leur vote, en France ces comportements sont difficiles à cerner. Ils votent Renaissance ou LR en général. On notera toutefois qu’aux élections présidentielles de 2022 et aux élections européennes de 2024, certains « beaux quartiers » ont donné de très bons résultats, très supérieurs à leur moyenne nationale à Éric Zemmour et à Reconquête : Neuilly, les 7°, 8°, 16° arrondissements de Paris ou bien Nice. Ou Saint Barth..

[24] C’est-à-dire l’immense majorité des patrons.

[25] Benoit Coquard, Ceux qui restent. Faire sa vie dans les campagnes en déclin, La Découverte, 2019.

[26] Olivier Schwartz, « Vivons-nous encore dans une société de classes ? », La Vie des Idées, 2009. Nous avons aussi retrouvé cette forme de présentation de soi, Julien Fretel et moi, dans les lettres adressées par des patrons au Président de de la République, afin de justifier par le travail et le mérite le droit d’être écouté. Voir Julien Fretel et Michel Offerlé, Écrire au Président. Enquête sur le guichet de l’Élysée, La découverte, 2021, et aussi Michel Offerlé, « Précité », Ce qu’un patron peut faire. Une sociologie politique des patronats, Gallimard, 2021.

[27] L’Oréal a ainsi lancé Head Up pour la prise en charge du stress des coiffeurs, qui passent des centaines d’heures par an dans des situations d’interaction pas toujours sereines.

[28] Félicien Faury, « Vote FN et implantation partisane dans le Sud-Est de la France : racisme, rapports de classe et politisation », Thèse Paris Dauphine, 2021. Et aussi, Christèle Marchand- Lagier, Le vote FN. Pour une sociologie localisée des électorats frontistes, De Boeck, 2017 ; Safia Dahani « Une institutionnalisation dans la tradition. Sociologie d’un parti patrimonial, le Front National », Thèse Toulouse Capitole, 2022.

Michel Offerlé

Politiste, Professeur émérite à l’École normale supérieure

Notes

[1] « President Donald Trump assembled a table of 17 high-powered executives for the first meeting of his business council Friday.(..) Schwarzman, the king of private equity, is the chairman of Trump’s business council. As chairman, he selected its members, and told CNBC that the president « loved them all. » » Business Insider, 3 février 2017.

[2] « Les gens ne connaissent pas bien l’économie Bernard Arnault balaye les critiques sur les milliardaires », Le Parisien, 26 janvier 2023.

[3] Michel-Edouard Leclerc, Du bruit dans le Landerneau : Entretiens avec Yannick Le Bourdonnec, Albin Michel, 2004. Il est l’un des seuls chefs d’entreprise importants à avoir été pris en photo avec un dirigeant RN (sur X en septembre 2023)

[4] Michel Offerlé, Ce qu’un patron peut faire. Une sociologie politique des mondes patronaux, Gallimard, 2021.

[5] Emmanuel Faber, Chemins de traverse, Albin Michel, 2011 ; Ouvrir une voie, Guérin, 2022.

[6] Pascal Demurger, L’entreprise du XXIe siècle sera politique ou elle ne sera plus, L’aube, 2019.

[7] « Toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés. La société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité. »

[8] Parmi beaucoup d’autres Elsa Conesa, « L’opération séduction du Rassemblement national auprès des patron », Le Monde, 7 décembre 2023 ; Renaud Honoré, « Rallier l’establishment le rêve contrarié du RN », Les Échos, 14 décembre 2023 ; Nicolas Massol, « Des législatives 2022 aux européennes : Comment le Rassemblement national est devenu totalement banal », Libération, 22 avril 2024, et, pour une synthèse, voir Isabelle Chaperon,  « Législatives 2024 : chez les patrons français, la tentation du Rassemblement national », Le Monde, 21 juin 2024, et Renaud Honoré, « Ces trois semaines qui ont ébranlé le patronat », Les Échos, 27 juin 2024. Et encore, Denis Lafay, « Face au RN, où sont les patrons ? », La Tribune, 18 décembre 2024.

[9] Voir parmi d’autres : Kevin Mauvieux député de l’Eure remet ainsi, à la salle communale d’Épaignes (Eure), vendredi 5 janvier 2024 devant près de 200 personnes invitées, des médailles de l’Assemblée nationale. Il faudrait aussi aller voir du côté des CCI.

[10] Les journalistes ont souvent été friands de la percée supposée du FN dans les milieux entrepreneuriaux. Les clubs Audace ou le Cardinal ont reçu, il y a quelques années, une couverture médiatique bien au-delà de l’effectivité de leurs activités.

[11] Dans un climat de secret complotiste : « Je lui ai trouvé un charisme et une stature personnelle. Il donne envie », souffle un grand capitaine d’industrie français qui a récemment partagé un dîner avec le président du RN autour de quelques convives. Interdiction formelle de divulguer son identité dans Sébastien Lignier, « La méthode Bardella »,Valeurs Actuelles.

[12] Un paragraphe du communiqué est consacré à la décarbonation de l’économie et la transition énergétique qui « doit retrouver une démarche de bon sens »

[13] Le Medef est organisé en fédérations (Métallurgie, bâtiment…) en en unions patronales régionales et départementales (les territoires). Parmi les représentants des territoires donc de province siègent ainsi des chefs d’entreprise plus petites que celles qui sont dans les fédérations généralement dominées par des grands groupes.

[14] Un appel du 25 juin réplique : 1000 diplômé·es des grandes écoles refusent les consignes de vote du Medef : ni représentatif, ni responsable. Ils se présentent comme : acteurs et dirigeants économiques, entrepreneurs : « Alors que l’extrême droite est plus que jamais aux portes du pouvoir, le programme du Nouveau Front Populaire, dans sa diversité, nous semble le seul à pouvoir prévenir le pire »

[15] À ma connaissance, la dernière prise de position d’un.e patron.ne du CAC 40 date du 6 juin dans Le Monde, « L’Europe doit et peut accélérer, simplifier et innover pour transformer l’essai du Green Deal », Estelle Brachlianoff, DG de Véolia.

[16] Communiqué du 11 juin 2024

[17] « L’UDES propose aux futurs députés de s’engager en faveur d’un nouveau contrat social », Communiqué 20 juin. Par ailleurs, les assureurs mutualistes dénoncent dans un communiqué le RN le 14 juin 2024.

[18] « Réserve et subtile influence », Challenges, 20 juin 2024.

[19] Stéphane Boujnah est l’un des rares grands patrons français qui a eu une expérience militante puisqu’il a co-fondé SOS-Racisme en 1984. Il est très anti-mélenchoniste « Sa stratégie est celle du chaos. Elle affaiblit le débat public, fragilise nos institutions et mène inéluctablement à la violence. » et décrit ainsi la RN dans Le Point du 6 juin 2024 « Le Rassemblement national n’est pas le Front national d’il y a quarante ans. Pas plus qu’il n’est l’extrême droite qui a été au pouvoir en France de 1940 à 1944. C’est une évidence. Mais il n’en est pas moins un parti illibéral, nationaliste et autoritaire ».

[20] Mais des chefs d’entreprise connus dans le débat public, Senard, de Chalendar, Lévy, Clamadieu, McInness, Pépy, Pérol, Ricol, de Romanet, de Bentzmann ou aussi un macronien historique Jean-Marc Borello et l’ancien président du Medef Pierre Gattaz. Il fallait un texte assez élastique pour faire tenir ensemble des sensibilités dites à droite et en peu à gauche.

[21] « Tribune d’entrepreneurs engagés des Hauts-de-France », Les Échos et La Voix du Nord, 24 juin 2024.

[22] Un appel d’une trentaine de patrons appelant à voter pour le NFP : « Les patrons de gauche sont comme les poissons volants, pas la majorité de l’espèce, disait-on. C’est vrai » est aussi publiée dans Libération le 28 juin.

[23] Contrairement aux États-Unis où certaines études permettent de cerner le comportement électoral des « très riches » et notamment parce que ces derniers font connaître leur vote, en France ces comportements sont difficiles à cerner. Ils votent Renaissance ou LR en général. On notera toutefois qu’aux élections présidentielles de 2022 et aux élections européennes de 2024, certains « beaux quartiers » ont donné de très bons résultats, très supérieurs à leur moyenne nationale à Éric Zemmour et à Reconquête : Neuilly, les 7°, 8°, 16° arrondissements de Paris ou bien Nice. Ou Saint Barth..

[24] C’est-à-dire l’immense majorité des patrons.

[25] Benoit Coquard, Ceux qui restent. Faire sa vie dans les campagnes en déclin, La Découverte, 2019.

[26] Olivier Schwartz, « Vivons-nous encore dans une société de classes ? », La Vie des Idées, 2009. Nous avons aussi retrouvé cette forme de présentation de soi, Julien Fretel et moi, dans les lettres adressées par des patrons au Président de de la République, afin de justifier par le travail et le mérite le droit d’être écouté. Voir Julien Fretel et Michel Offerlé, Écrire au Président. Enquête sur le guichet de l’Élysée, La découverte, 2021, et aussi Michel Offerlé, « Précité », Ce qu’un patron peut faire. Une sociologie politique des patronats, Gallimard, 2021.

[27] L’Oréal a ainsi lancé Head Up pour la prise en charge du stress des coiffeurs, qui passent des centaines d’heures par an dans des situations d’interaction pas toujours sereines.

[28] Félicien Faury, « Vote FN et implantation partisane dans le Sud-Est de la France : racisme, rapports de classe et politisation », Thèse Paris Dauphine, 2021. Et aussi, Christèle Marchand- Lagier, Le vote FN. Pour une sociologie localisée des électorats frontistes, De Boeck, 2017 ; Safia Dahani « Une institutionnalisation dans la tradition. Sociologie d’un parti patrimonial, le Front National », Thèse Toulouse Capitole, 2022.