Politique

Le droit constitutionnel n’est pas une science exacte

Politiste et juriste

Que va faire Emmanuel Macron dans les prochains jours, et les prochains mois ? Plus la doctrine des constitutionnalistes affirme que le président de la République est contraint par la Constitution, plus il l’est effectivement. Ou pas.

Dans la séquence politique que nous vivons depuis le 9 juin dernier, les constitutionnalistes sont très sollicité(e)s dans les media pour « éclairer le débat public ». On les interroge, en leur qualité d’expert(e)s de la Constitution, sur ce que peut mais aussi ce que doit faire le Président de la République en matière de nomination du Premier Ministre, puis, en cas de cohabitation, quels seront les pouvoirs de l’un et de l’autre au sein de l’exécutif : à qui appartiendra le décret, l’ordonnance, le 49 alinéa 3, le référendum, le pouvoir de commandement de l’armée, etc. Le président pourrait-il être destitué, utiliser l’article 16, réviser la Constitution par référendum, re-dissoudre l’Assemblée… devra-t-il démissionner, et d’ailleurs, pourrait-il se représenter pour un troisième mandat ?

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Au-delà de la politique-fiction, on demande aussi aux constitutionnalistes de proposer des pistes pour sortir de la crise institutionnelle : changement du mode de scrutin, du calendrier électoral, suppression de l’élection du Président au suffrage universel direct, rédaction d’une toute nouvelle constitution – et alors s’ouvre une toute nouvelle série de questions : quelles institutions, quel mode de scrutin, quelles procédures de mise en jeu de la responsabilité des élus, quel type de régime ? etc.

Mais la Constitution n’est d’aucune utilité pour désigner le vainqueur des élections législatives ; elle n’est pas non plus d’un grand secours pour identifier la personne que le Président devrait nommer au poste de Premier ministre. Sur le premier point, elle est absolument silencieuse – la seule victoire actée par la loi (et non par la Constitution) est celle de l’élection d’un.e député.e et ce, par circonscription électorale. Sur le second point, l’article 8 alinéa 1er de la Constitution donne au président de la République un « pouvoir propre » dispensé de contreseing, c’est-à-dire un pouvoir pleinement discrétionnaire. Le Président nomme, en droit, absolument qui il veut. A


[1] Véronique Champeil-Desplats, Michel Troper et Christophe Grzegorczyk (dir.), Théorie des contraintes juridiques, LGDJ, 2005.

[2] Pierre Avril, Les conventions de la Constitution, PUF, 1997.

[3] Dominique Villepin, « C’est la tradition républicaine » : Dominique de Villepin estime que la gauche doit former un nouveau gouvernement », Le Parisien, 11 juillet 2024.

[4] Olivier Beaud, Denis Baranger, Bruno Daugeron et Jean-Marie Denquin, « La classe politique et les médias vont devoir apprendre ce qu’est un véritable régime parlementaire », Le Monde, 8 juillet 2024.

[5] Jean-Philippe Derosier, « Que le RN ait une majorité absolue ou relative, la logique voudrait qu’Emmanuel Macron nomme Jordan Bardella à Matignon », Libération, 4 juillet 2024.

[6] Parmi les constitutionnalistes critiques de la Vème République, Maurice Duverger est une figure emblématique,  notant la propension du « régime semi-présidentiel » français à se muer en « monarchie républicaine ». Maurice Duverger, La monarchie républicaine, ou comment les démocraties se donnent des rois, Robert Laffont, 1974.

[7] Parmi les juristes promoteurs du Conseil et d’une plus grande juridictionnalisation de celui-ci, on peut citer Robert Badinter. Dominique Rousseau, Sur le Conseil Constitutionnel : La Doctrine Badinter et la démocratie, Descartes et cie, 1997.

[8] Hans Kelsen, Théorie pure du droit, LGDJ, 1999 (1934).

[9] Carl Schmitt, Théologie politique, Gallimard, 1988 (1922).

[10] Pour l’ensemble du débat entre Kelsen et Schmitt réuni dans un seul volume, voir Lars Vynx, The Guardian of the Constitution: Hans Kelsen and Carl Schmitt on the Limits of Constitutional Law, Cambridge University Press, 2015.

[11] Voir Florine Amenta, « Législatives anticipées : le marathon médiatique des constitutionnalistes », La Revue des media, 28 juin 2024 : https://larevuedesmedias.ina.fr/legislatives-anticipees-le-marathon-mediatique-des-constitutionnalistes.

[12] Pierre Bourdieu, « La force du droit : Éléments pour une sociol

Eugénie Mérieau

Politiste et juriste, chercheuse au Centre d'Etude du Droit Asiatique de l'Université Nationale de Singapour, au CERI (Sciences Po-CNRS), à l'Institut d'Asie Orientale (ENS Lyon-CNRS) et à l'IRASEC (MAE-CNRS)

Notes

[1] Véronique Champeil-Desplats, Michel Troper et Christophe Grzegorczyk (dir.), Théorie des contraintes juridiques, LGDJ, 2005.

[2] Pierre Avril, Les conventions de la Constitution, PUF, 1997.

[3] Dominique Villepin, « C’est la tradition républicaine » : Dominique de Villepin estime que la gauche doit former un nouveau gouvernement », Le Parisien, 11 juillet 2024.

[4] Olivier Beaud, Denis Baranger, Bruno Daugeron et Jean-Marie Denquin, « La classe politique et les médias vont devoir apprendre ce qu’est un véritable régime parlementaire », Le Monde, 8 juillet 2024.

[5] Jean-Philippe Derosier, « Que le RN ait une majorité absolue ou relative, la logique voudrait qu’Emmanuel Macron nomme Jordan Bardella à Matignon », Libération, 4 juillet 2024.

[6] Parmi les constitutionnalistes critiques de la Vème République, Maurice Duverger est une figure emblématique,  notant la propension du « régime semi-présidentiel » français à se muer en « monarchie républicaine ». Maurice Duverger, La monarchie républicaine, ou comment les démocraties se donnent des rois, Robert Laffont, 1974.

[7] Parmi les juristes promoteurs du Conseil et d’une plus grande juridictionnalisation de celui-ci, on peut citer Robert Badinter. Dominique Rousseau, Sur le Conseil Constitutionnel : La Doctrine Badinter et la démocratie, Descartes et cie, 1997.

[8] Hans Kelsen, Théorie pure du droit, LGDJ, 1999 (1934).

[9] Carl Schmitt, Théologie politique, Gallimard, 1988 (1922).

[10] Pour l’ensemble du débat entre Kelsen et Schmitt réuni dans un seul volume, voir Lars Vynx, The Guardian of the Constitution: Hans Kelsen and Carl Schmitt on the Limits of Constitutional Law, Cambridge University Press, 2015.

[11] Voir Florine Amenta, « Législatives anticipées : le marathon médiatique des constitutionnalistes », La Revue des media, 28 juin 2024 : https://larevuedesmedias.ina.fr/legislatives-anticipees-le-marathon-mediatique-des-constitutionnalistes.

[12] Pierre Bourdieu, « La force du droit : Éléments pour une sociol