Dans quelles sphères vivons-nous ? Sur la société intrasectionnelle
Le réchauffement climatique et la destruction des écosystèmes menacent l’humanité tout entière. Pourtant, quelques riches entrepreneurs croient pouvoir y échapper en se barricadant dans des îlots coupés du reste du monde. D’autres trouvent dans la foi les moyens de se rassurer sur leur sort : la ferveur rédemptrice les sauvera de l’apocalypse. D’autres, enfin, nient ou minorent les conséquences du changement climatique en s’abritant, littéralement, derrière un écran.

Pris dans un flot permanent d’informations où une catastrophe en chasse une autre, ils sont comme anesthésiés et peinent à identifier les leviers d’action à leur disposition. Leur inertie fait écho à la dégradation exponentielle de l’environnement : lente d’abord, accélérée ensuite, déconnectant encore davantage les individus des conséquences de leurs actes[1].
Comment agir au nom de toute l’humanité quand celle-ci ne parvient pas à s’accorder sur son destin ?[2] Le cosmopolitisme est-il un antidote suffisant ?[3] L’émergence d’une responsabilité globale est limitée par les capacités morales des individus, comme le montre avec force le roman de Max de Paz, La Manche[4] : chaque jour, nous prêtons attention aux un·es et détournons le regard des autres. Dans un monde d’interconnexions, la proximité est-elle vraiment redéfinie ? La circulation des fictions par-delà les frontières (celle, par exemple, d’un film ou d’un livre à succès) transforme-t-elle la façon dont se forge le sentiment d’appartenance ?
À l’occasion de la remise de son prix Nobel, Albert Camus déclarait qu’il préfèrerait toujours sa mère à la justice[5]. Cette assertion soulève, aujourd’hui plus que jamais, une question fondamentale : dans quelles sphères vivons-nous ? Agir efficacement contre le réchauffement climatique implique de tenir compte des différents cadres moraux dans lesquels s’exerce la justice et de disposer d’une grille de lecture pour mieux saisir la façon dont ces cadres s’articulent les uns aux autres.
C’est le