Savoirs

« Fanatisme », de la théologie à la médecine

Politiste

D’abord utilisé par les protestants, au XVIe siècle, dans le cadre de querelles politiques et théologiques, le terme fanatisme a évolué avec le temps, passant notamment de la terminologie religieuse à la terminologie médicale au cours de la révolte des camisards à la fin du XVIIe siècle. Le récit de cette évolution sémantique offre un éclairage instructif et salvateur alors que le mot fanatisme demeure un stigmate toujours imposé depuis l’extérieur.

À l’occasion de la guerre entre Israël et le Hamas, on a vu réapparaître de multiples façons le terme fanatisme. Cette guerre peut être décrite, à la suite de beaucoup d’autres, comme un épisode de « fanatisme », bien que ce qualificatif très fréquent recouvre des connotations différentes. Retenons les arguments qui soulignent la terreur et la démesure de fanatisme. Ainsi le journaliste Marc Semo écrit-il : « En fanatique [nous soulignons], le Premier ministre Netanyahou ne semble plus avoir de limites. » Et l’on trouve la notion d’excès imputée au Hamas dans sa caractérisation par un ancien ambassadeur d’Israël en France, Élie Barnavi : « L’attaque du Hamas résulte de la conjonction d’une organisation islamiste fanatique [nous soulignons] et d’une politique israélienne imbécile. » On pourrait, à la suite de ces citations, caractériser la guerre entre Israël et le Hamas comme une guerre entre deux ennemis « fanatiques », ce qui expliquerait leur hostilité radicale.

publicité

Cet article inclut à la fois un examen lexicographique et historique de la conception du « fanatisme » dans le discours théologique et dans le discours médical qui se sont succédés l’un à l’autre. Il renvoie à des transformations structurelles de l’histoire, et d’abord à la naissance du protestantisme, dont les premiers théologiens s’opposent au « fanatisme », violemment. En éclairant le sens de fanatisme, nous nous centrerons sur deux étapes, mais sans suivre toutes les variations du terme fanatisme depuis la Renaissance[1]. Il se trouve que fanatisme, notion théologique, est appliqué péjorativement à des variantes du protestantisme : au XVIe siècle, aux anabaptistes et, au début du XVIIIe siècle, aux protestants insurgés des Cévennes et du Vivarais, les camisards, qui sont ainsi, eux, l’objet d’un jugement médical.

Une des premières occurrences de fanatique se trouve dans un texte en latin de Philippe Melanchthon (1497-1560), humaniste et fidèle ami de Martin Luther (1483-1546), sous la forme


[1] Pour une enquête historique plus complète, voir Dominique Colas, Le Glaive et le fléau. Généalogie du fanatisme et de la société civile, Grasset, 1992 (cet ouvrage a bénéficié d’une traduction américaine par Amy Jacobs : Civil Society and Fanaticism: Conjoined Histories, Stanford University Press, 1997).

[2] Emmanuel Le Roy Ladurie, Les Paysans de Languedoc, édition en deux volumes, Mouton, 1966 — Michel Foucault, « Médecins, juges et sorciers au XVIIe siècle », Mercure de France, n° 200, 1969, reproduit dans Dits et écrits (1954-1988), I : 1954-1969, Gallimard, 1994.

[3] Philippe Melanchthon, La Confession d’Augsbourg, traduit par Pierre Jundt, Cerf, 1989. Le texte a été présenté lors de la diète d’Augsbourg à Charles Quint, mais il ne fut pas entériné.

[4] Martin Luther, Contre les bandes pillardes et meurtrières des paysans, in Luther et les problèmes de l’autorité civile, édition et traduction par Joël Lefebvre, édition bilingue, Aubier, 1973, p. 255.

[5] Jean Calvin, L’Institution Chrétienne, IV, 20 (« Du gouvernement civil »), Kerygma et Farel, 1978, p. 488.

[6] Jean Calvin, L’Institution Chrétienne, IV, Les Belles Lettres, 1981, p. 198.

[7] Ibid., p. 460.

[8] Ibid., p. 461.

[9] Ernst Bloch, Thomas Münzer, théologien de la révolution (1921), traduit de l’allemand par Maurice de Gandillac, Amsterdam, 2022. Ce livre de 1921 insiste bien plus que celui d’Engels sur la dimension théologique. Il se situe au lendemain de la Révolution russe.

[10] C’est le terme délibérément anachronique – il vient de la psychiatrie du XIXe siècle – employé par Emmanuel Le Roy Ladurie dans Les Paysans de Languedoc, op. cit., p. 621.

[11] Esprit Fléchier, Lettres choisies, édition en deux volumes, Lyon, 1735.

[12] Jean Cavalier, Mémoires sur la guerre des camisards, Payot, 1973.

[13] Le Théâtre sacré des Cévennes (1707), Les Presses du Languedoc, 1978, p. 70.

[14] Esprit Fléchier, Lettres choisies, I, op. cit., p. 371.

[15] Les Convulsionnaires de Saint-Médard. Miracles, convulsio

Dominique Colas

Politiste, Professeur à Sciences Po

Notes

[1] Pour une enquête historique plus complète, voir Dominique Colas, Le Glaive et le fléau. Généalogie du fanatisme et de la société civile, Grasset, 1992 (cet ouvrage a bénéficié d’une traduction américaine par Amy Jacobs : Civil Society and Fanaticism: Conjoined Histories, Stanford University Press, 1997).

[2] Emmanuel Le Roy Ladurie, Les Paysans de Languedoc, édition en deux volumes, Mouton, 1966 — Michel Foucault, « Médecins, juges et sorciers au XVIIe siècle », Mercure de France, n° 200, 1969, reproduit dans Dits et écrits (1954-1988), I : 1954-1969, Gallimard, 1994.

[3] Philippe Melanchthon, La Confession d’Augsbourg, traduit par Pierre Jundt, Cerf, 1989. Le texte a été présenté lors de la diète d’Augsbourg à Charles Quint, mais il ne fut pas entériné.

[4] Martin Luther, Contre les bandes pillardes et meurtrières des paysans, in Luther et les problèmes de l’autorité civile, édition et traduction par Joël Lefebvre, édition bilingue, Aubier, 1973, p. 255.

[5] Jean Calvin, L’Institution Chrétienne, IV, 20 (« Du gouvernement civil »), Kerygma et Farel, 1978, p. 488.

[6] Jean Calvin, L’Institution Chrétienne, IV, Les Belles Lettres, 1981, p. 198.

[7] Ibid., p. 460.

[8] Ibid., p. 461.

[9] Ernst Bloch, Thomas Münzer, théologien de la révolution (1921), traduit de l’allemand par Maurice de Gandillac, Amsterdam, 2022. Ce livre de 1921 insiste bien plus que celui d’Engels sur la dimension théologique. Il se situe au lendemain de la Révolution russe.

[10] C’est le terme délibérément anachronique – il vient de la psychiatrie du XIXe siècle – employé par Emmanuel Le Roy Ladurie dans Les Paysans de Languedoc, op. cit., p. 621.

[11] Esprit Fléchier, Lettres choisies, édition en deux volumes, Lyon, 1735.

[12] Jean Cavalier, Mémoires sur la guerre des camisards, Payot, 1973.

[13] Le Théâtre sacré des Cévennes (1707), Les Presses du Languedoc, 1978, p. 70.

[14] Esprit Fléchier, Lettres choisies, I, op. cit., p. 371.

[15] Les Convulsionnaires de Saint-Médard. Miracles, convulsio