Numérique

L’écologie a-t-elle besoin d’enquêtes en sources ouvertes ?

Chercheur en info-com, Chercheur en Lettres

Refusant de délivrer verticalement un savoir, l’OSINT, en alliant recherches sérieuses, vulgarisation scientifique, revendications militantes, explication de ses méthodes et réflexivité critique sur les pratiques de constitution et de transmission de la connaissance, fait voir et éduque à voir seul la situation environnementale. Elle peut ainsi permettre de refonder démocratiquement tout milieu de production et de diffusion de l’information.

Depuis quelques années, des internautes anonymes se sont attelés à exploiter des données publiquement accessibles sur la propriété des avions et leurs trajets afin de rendre visibles sur les médias sociaux les déplacements des hommes les plus riches de la planète. Rassemblant des dizaines de milliers de followers, des comptes comme L’avion de Bernard (consacré au président-directeur général du groupe LVMH) sur Instagram ou Elon Musk’s Jet (dédié au patron de Tesla et de SpaceX, propriétaire également de X – anciennement Twitter), décliné sur différents réseaux dont Mastodon, ne s’amusent pas simplement à nuire à la vie privée des vedettes du business mondial.

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En se servant de techniques et d’outils d’enquête en sources ouvertes, comme le flight tracking (traçage aérien), fondées sur l’analyse d’informations numériques en accès libre (programmes des compagnies aériennes, données GPS des avions, données des organismes de régulation des vols, etc.), de telles initiatives tentent de mettre en avant l’ampleur du recours à ces moyens de transport aussi rapides que polluants par l’élite économique mondiale. Ces opérations de renseignement numérique pointent du doigt les limites environnementales des choix quotidiens d’une classe sociale privilégiée qui extrémise un mode de déplacement écologiquement insoutenable, mais pourtant en pleine croissance.

L’utilisation du « traçage aérien » n’est pas univoque : il peut aussi être mis au service d’entreprises du secteur de l’aviation, par des sites professionnels comme FlightAware, afin d’améliorer leurs activités économique – selon une logique éloignée de celle des comptes militants mentionnés, pour ne pas dire contradictoire. La mobilisation des instruments numériques est toujours susceptible de servir des finalités disparates et incompatibles. Ce sont souvent les situations d’usage et les milieux sociaux qui caractérisent les technologies, selon des pratiques aussi divergentes que des enquêtes amatrices basées sur des


[1] Arne Næss, Vers l’écologie profonde, Wildproject, 2017.

[2] Voir à ce sujet Hélène Tordjman, La Croissance verte contre la nature. Critique de l’écologie marchande, La Découverte, 2022.

[3] Voir Eyal Weizman, « Open Verification », E-flux (en ligne), 2019. Une version de ce texte a été traduite en guise de conclusion de Eyal Weizman, La Vérité en ruine. Manifeste pour une architecture forensique, traduit de l’anglais par Marc Saint-Upéry, Zones, 2021.

[4] D’autres approches que l’enquête et la narration se sont déployées d’une façon complémentaire sur ces mêmes sujets, comme le reportage sur le terrain de Jon Lee Anderson pour The New Yorker en avril 2024.

[5] « Mediacene » était le titre du numéro 28 de la revue scientifique italienne Elephant & Castle, dirigé par Adriano d’Aloia et Jacopo Rasmi.

[6] Cette démocratisation fondamentale de l’expertise sur la question écologique est aussi défendue par les initiatives au centre du travail de Jennifer Gabrys dans Citizens of Worlds. Open-Air Toolkits for Environmental Struggle, University of Minnesota Press, 2022.

[7] On pense à l’importance de « se défendre » telle que la philosophe Elsa Dorlin a pu l’exposer dans Se défendre. Une philosophie de la violence, Zones, 2017.

[8] Wendy H. K. Chun, Codes, races, climat, habitudes. Implications sociales de la numérisation, édité par Yves Citton et traduit de l’anglais par Aurélien Blanchard, Les Presses du réel, 2023 ; voir l’École universitaire de recherche ArTec (EUR ArTec).

 

Allan Deneuville

Chercheur en info-com, maître de conférences à l’université Bordeaux-Montaigne (laboratoire MICA)

Jacopo Rasmi

Chercheur en Lettres, maître de conférences en arts visuels et études italiennes à l'Université Jean Monnet (Saint Etienne)

Notes

[1] Arne Næss, Vers l’écologie profonde, Wildproject, 2017.

[2] Voir à ce sujet Hélène Tordjman, La Croissance verte contre la nature. Critique de l’écologie marchande, La Découverte, 2022.

[3] Voir Eyal Weizman, « Open Verification », E-flux (en ligne), 2019. Une version de ce texte a été traduite en guise de conclusion de Eyal Weizman, La Vérité en ruine. Manifeste pour une architecture forensique, traduit de l’anglais par Marc Saint-Upéry, Zones, 2021.

[4] D’autres approches que l’enquête et la narration se sont déployées d’une façon complémentaire sur ces mêmes sujets, comme le reportage sur le terrain de Jon Lee Anderson pour The New Yorker en avril 2024.

[5] « Mediacene » était le titre du numéro 28 de la revue scientifique italienne Elephant & Castle, dirigé par Adriano d’Aloia et Jacopo Rasmi.

[6] Cette démocratisation fondamentale de l’expertise sur la question écologique est aussi défendue par les initiatives au centre du travail de Jennifer Gabrys dans Citizens of Worlds. Open-Air Toolkits for Environmental Struggle, University of Minnesota Press, 2022.

[7] On pense à l’importance de « se défendre » telle que la philosophe Elsa Dorlin a pu l’exposer dans Se défendre. Une philosophie de la violence, Zones, 2017.

[8] Wendy H. K. Chun, Codes, races, climat, habitudes. Implications sociales de la numérisation, édité par Yves Citton et traduit de l’anglais par Aurélien Blanchard, Les Presses du réel, 2023 ; voir l’École universitaire de recherche ArTec (EUR ArTec).