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Tunisie : constitutionnalisme abusif et démocratie évidée

Politiste

Le 6 octobre, la Tunisie vivra sa troisième élection depuis la révolution de 2011. Le président sortant, Kaïs Saïed, qui avait tenté de concilier les aspirations des élites constitutionnalistes et celles du peuple insurrectionnel, brigue un second mandat, trois ans après son « coup d’État constitutionnel ». Ce scrutin aux allures de plébiscite interroge l’avenir démocratique du pays comme sa relation avec son histoire constitutionnelle.

Sauf rebondissement inattendu, la Tunisie connaîtra dimanche 6 octobre sa troisième élection présidentielle depuis l’année révolutionnaire 2011.

Le président en exercice et candidat à sa réélection, Kaïs Saïed, est le quatrième président de plein exercice élu au suffrage universel depuis la proclamation de la République le 25 juillet 1956, le septième si on compte deux présidents par intérim (Fouad Mebazaa 2011 et Mohammed Ennaceur 2019) et un président provisoire élu par l’Assemblée nationale constituante (Moncef Marzouki, 2011-2014). Seules jusqu’ici, deux présidentielles ont donné lieu à un scrutin libre et ouvert (2014 et 2019). Les précédents présidents de plein exercice furent avocats (Habib Bourguiba, Béji Caïd Essebsi) ou militaires (Zine El Abidine Ben Ali), le président en fonction, K. Saïed, est un universitaire constitutionnaliste.

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Pour des raisons historico-idéologiques que nous allons voir, plus que par sa nation ou sa république, la Tunisie politique contemporaine se définit par sa Constitution, en quelque sorte comme un État constitutionnel. Si bien que d’une certaine façon, l’accession à la présidence de la République de K. Saïed fut comme le couronnement d’un parcours : le tropisme constitutionnel trouvait comme son incarnation exemplaire dans la personne d’un constitutionnaliste !

Pourrait-on dire qu’au fond depuis le XIXe siècle, l’histoire de la Tunisie a évolué pratiquement entre les deux extrêmes d’une « idéologie constitutionnaliste », le génie et le démon de la Constitution, aboutissant à la situation actuelle que je qualifierai de « constitutionnalisme abusif » et de « démocratie évidée » ?

L’imaginaire constitutionnel tunisien

La lutte pour l’indépendance de la Tunisie se fit sous les auspices d’un retour de la Constitution (destour) de 1861 (la première du monde arabe) à laquelle les monarques tunisiens (les Beys) avaient renoncé en acceptant en 1881 la soumission du pays aux accords de Protectorat ; le premier nationalisme, dom


[1] Fareed Zakaria, L’avenir de la liberté. La démocratie illibérale aux États-Unis et dans le monde, Paris, Odile Jacob, 2003.

[2] Germaine Tillion, Les ennemis complémentaires. Guerre d’Algérie, Paris, éditions Tiresias Michel Reynaud, 2005.

[3] Hamadi Redissi, Hafedh Chekir, Mahdi Elleuch, Sahbi Khalfaoui, La tentation populiste. Les élections de 2019 en Tunisie, Tunis, Cérès éditions, 2023.

[4] Hamadi Redissi, dir., Le pouvoir d’un seul, Tunis, Diwen, 2023.

[5] Ernest Gellner, Nations et nationalisme, traduit de l’anglais par Bénédicte Pineau, Paris, Payot, 1989.

[6] Sidney Tarrow, Charles Tilly, Politique(s) du conflit. De la grève à la révolution, Les Presses de Sciences Po, coll. « Références », 2015.

[7] Olivier Fillieule, Danielle Tartakowsky, La Manifestation, Paris, Presses de Science Po, 2008.

[8] Georges Duby, L’Histoire continue, éditions Odile Jacob, coll. « Poches Odile Jacob », 1991.

Pierre Robert Baduel

Politiste, Directeur de recherche au CNRS en sociologie politique

Notes

[1] Fareed Zakaria, L’avenir de la liberté. La démocratie illibérale aux États-Unis et dans le monde, Paris, Odile Jacob, 2003.

[2] Germaine Tillion, Les ennemis complémentaires. Guerre d’Algérie, Paris, éditions Tiresias Michel Reynaud, 2005.

[3] Hamadi Redissi, Hafedh Chekir, Mahdi Elleuch, Sahbi Khalfaoui, La tentation populiste. Les élections de 2019 en Tunisie, Tunis, Cérès éditions, 2023.

[4] Hamadi Redissi, dir., Le pouvoir d’un seul, Tunis, Diwen, 2023.

[5] Ernest Gellner, Nations et nationalisme, traduit de l’anglais par Bénédicte Pineau, Paris, Payot, 1989.

[6] Sidney Tarrow, Charles Tilly, Politique(s) du conflit. De la grève à la révolution, Les Presses de Sciences Po, coll. « Références », 2015.

[7] Olivier Fillieule, Danielle Tartakowsky, La Manifestation, Paris, Presses de Science Po, 2008.

[8] Georges Duby, L’Histoire continue, éditions Odile Jacob, coll. « Poches Odile Jacob », 1991.