Société

La réforme des retraites vue du monde ouvrier

Sociologue

Tandis que le délitement de la Sécurité sociale contraint les plus précaires à se limiter aux solidarités primaires, le savoir-faire des militants de longue date, porteurs de l’héritage des luttes sociales et acteurs majeurs des réseaux de solidarités locaux, apparaît comme un atout précieux pour résister à l’heure où les groupes Auchan et Michelin ont déjà annoncé des milliers de licenciements et où d’autres plans sociaux devraient suivre…

Malgré son refus d’envisager l’abrogation de la réforme des retraites passée en force en 2023, le nouveau Premier ministre, Michel Barnier, semble avoir ouvert la porte au dialogue avec les partenaires sociaux. Lors de sa déclaration de politique générale du 1er octobre dernier, il a ainsi considéré que « certaines limites de la loi votée le 15 avril 2023 peuvent être corrigées.

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Les questions des retraites progressives, de l’usure professionnelle, de l’égalité entre les femmes et les hommes face à la retraite méritent mieux que des fins de non-recevoir ». Pourtant, l’une de ses premières décisions – très controversée – consiste à repousser de six mois la revalorisation des pensions, indexée sur l’inflation.

Au-delà de « l’astuce technocratique », une question soigneusement évitée par Matignon comme par l’Élysée mérite d’être posée : de quoi et de qui s’agit-il lorsque l’on parle des retraites et « des retraités », que d’aucuns qualifient comme un ensemble d’« enfants gâtés de la République » ? Et, en amont de ce moment politique, que disent les formules, techniques et euphémisantes, d’« usure professionnelle » ou de « carrières longues » ?

Une homogénéisation problématique

Dès le lendemain de l’annonce du report de la revalorisation des pensions, l’économiste Gilbert Cette, président du Conseil d’orientation des retraites (COR), relativise la décision du Premier ministre : selon lui, l’effort demandé aux retraités est « très limité ». Prenant l’exemple d’un retraité qui bénéficie d’une pension de retraite de 1 500 €, il estime que « l’effort sera de 15 euros par mois pendant les six mois de janvier à juin ».

Le choix du chiffre n’est pas neutre : il désigne un montant « moyen » de pension de retraite brute, stable depuis plusieurs décennies, mais qui ne dit rien de la réalité des différences internes à la catégorie de retraité·es. Et, avec un niveau de vie médian des retraités de 1 900 € bruts en 2019 qui « demeure supérieur à celui de l’ensemble de la pop


[1] Les Retraités et les retraites, panorama de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), édition 2023, p. 11.

[2] Paul Hobeika, Pensions incomplètes. Production et invisibilisation des inégalités face à la retraite en France, thèse de sociologie, université Paris VIII Vincennes – Saint-Denis, 2024. Paul Hobeika a publié un aperçu de ses résultats dans « Vers une retraite plus juste ? Des inégalités de classe entre retraité·es », Savoir/Agir, n° 58, 2021, p. 43-50.

[3] Données issues du « Panel tous salariés », Échantillon interrégimes de retraités (EIR), DREES et complétées de celles des pensionné·es de droit direct de la Mutualité sociale agricole (MSA) non-salarié·es ou du RSA. La comparaison alors possible entre actifs, actives et retraité·es de 2012 est en soi intéressante pour illustrer l’évolution de l’emploi en France : 8,2 % d’agriculteur·rices parmi les retraités contre 2,1 % parmi les actifs et actives, 6,8 % et 5,7 % pour les artisan·es, commerçant·es, chef·fes d’entreprise, 12,6 % et 17,4 % pour les cadres et professions intellectuelles supérieures, 18,7 % et 22,9 % pour les professions intermédiaires, 27,2 % et 29,5 % pour les empoyé·es et 26,6 % et 22,0 % pour les ouvrier·es.

[4] Ibid., p. 143.

[5] Nicolas Renahy, Jusqu’au bout. Vieillir et résister dans le monde ouvrier, Paris : La Découverte, 2024.

[6] Florian Bonnet et al., « Les ouvriers vivent moins longtemps que les cadres : combien de temps passent-ils à la retraite et en (in)activité ? », Population & Sociétés, n° 611, 2023 ; Emmanuelle Cambois et al., « La double peine des ouvriers : plus d’années d’incapacité dans une espérance de vie plus courte », Population & Sociétés, n° 441, 2008.

[7] Juliette Rennes, « Âge biologique versus âge social : une distinction problématique », Genèses, n° 117, 2019, p. 109-128.

[8] Paul Hobeika, Pensions incomplètes, chap. 3 (« Guichets de la retraite et retrait du guichet »), op. cit., p. 161-224.

[9] Clara Deville

Nicolas Renahy

Sociologue, directeur de recherche à l’INRA et directeur du CESAER – Dijon

Notes

[1] Les Retraités et les retraites, panorama de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), édition 2023, p. 11.

[2] Paul Hobeika, Pensions incomplètes. Production et invisibilisation des inégalités face à la retraite en France, thèse de sociologie, université Paris VIII Vincennes – Saint-Denis, 2024. Paul Hobeika a publié un aperçu de ses résultats dans « Vers une retraite plus juste ? Des inégalités de classe entre retraité·es », Savoir/Agir, n° 58, 2021, p. 43-50.

[3] Données issues du « Panel tous salariés », Échantillon interrégimes de retraités (EIR), DREES et complétées de celles des pensionné·es de droit direct de la Mutualité sociale agricole (MSA) non-salarié·es ou du RSA. La comparaison alors possible entre actifs, actives et retraité·es de 2012 est en soi intéressante pour illustrer l’évolution de l’emploi en France : 8,2 % d’agriculteur·rices parmi les retraités contre 2,1 % parmi les actifs et actives, 6,8 % et 5,7 % pour les artisan·es, commerçant·es, chef·fes d’entreprise, 12,6 % et 17,4 % pour les cadres et professions intellectuelles supérieures, 18,7 % et 22,9 % pour les professions intermédiaires, 27,2 % et 29,5 % pour les empoyé·es et 26,6 % et 22,0 % pour les ouvrier·es.

[4] Ibid., p. 143.

[5] Nicolas Renahy, Jusqu’au bout. Vieillir et résister dans le monde ouvrier, Paris : La Découverte, 2024.

[6] Florian Bonnet et al., « Les ouvriers vivent moins longtemps que les cadres : combien de temps passent-ils à la retraite et en (in)activité ? », Population & Sociétés, n° 611, 2023 ; Emmanuelle Cambois et al., « La double peine des ouvriers : plus d’années d’incapacité dans une espérance de vie plus courte », Population & Sociétés, n° 441, 2008.

[7] Juliette Rennes, « Âge biologique versus âge social : une distinction problématique », Genèses, n° 117, 2019, p. 109-128.

[8] Paul Hobeika, Pensions incomplètes, chap. 3 (« Guichets de la retraite et retrait du guichet »), op. cit., p. 161-224.

[9] Clara Deville