Politique

La production politique de la résignation populaire

Politiste

Depuis 40 ans, la montée de l’abstention constitue la matérialisation la plus visible d’une résignation populaire. Mais quelles en sont ses causes profondes ? De l’expérience ordinaire de l’impuissance politique et de l’incapacité des organisations collectives à s’ancrer localement et générer une croyance dans l’utilité de la participation.

« La fureur n’est en aucune façon une réaction automatique en face de la misère et de la souffrance ; personne ne se met en fureur devant une maladie incurable ou un tremblement de terre, ou en face de conditions sociales impossibles de modifier. C’est seulement au cas où l’on a de bonnes raisons de croire que ces conditions pourraient être changées, et qu’elles ne le sont pas, que la fureur éclate »
Hannah Arendt, Crisis of the Republic [1]

«On ne nous y prendra plus », « c’est la dernière fois »… la déception des électeurs les plus politisés dans les quartiers populaires suite à la nomination du dernier gouvernement est à la hauteur des craintes et des espoirs qu’avaient fait naître les élections législatives l’été dernier.

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La responsabilité du Président de la République est évidente. En ne respectant pas l’issue du scrutin il a contribué à démonétiser un peu plus l’acte électoral auprès d’un segment de la population qui s’était particulièrement mobilisé à cette occasion.

Souligner cette responsabilité historique n’empêche pas de tenter de saisir les racines plus profondes de cette résignation populaire, dont la montée continue de l’abstention depuis quarante ans ne constitue que la matérialisation la plus visible. Alors qu’on pointe souvent les mutations de la structure sociale ou l’essor de formes d’individualisme qui détourneraient de la vie civique, il me semble que des facteurs proprement politiques méritent aussi d’être pris en compte. La démobilisation découle également de l’expérience ordinaire de l’impuissance politique et de l’incapacité des organisations collectives à générer une croyance dans l’utilité sociale de la participation.

Pour explorer la genèse de cette résignation populaire, je me suis immergé pendant plus de dix ans dans la ville de Roubaix, souvent considérée comme la capitale française de l’abstention, commune populaire marquée par une longue histoire d’immigration, elle est de fait souvent associée à l’islam. Le rapport au pol


[1] New York, Harvest Books, 1969 [ma traduction]

[2] Pour plus de détails sur cette enquête, voir Julien Talpin, La colère des quartiers populaires. Enquête socio-historique à Roubaix, Paris, PUF, 2024.

[3] Voir par exemple François Dubet, « Tout se passe comme si les quartiers étaient dans un vide politique, comme si les rages et les révoltes ne débouchaient sur aucun processus politique », Le Monde, 2 juillet 2023.

[4] Julien Talpin, « Une révolte politique, fruit de la répression du militantisme dans les quartiers », AOC, 7 juillet 2023.

[5] Ainsi que le montrent les travaux sur la conscience sociale des classes populaires, voir Haut, bas, fragile : sociologies du populaire entretien avec Annie Collovald & Olivier Schwartz,Vacarme, 15 octobre 2006.

[6] Voir Rémi Lefebvre, Quelles leçons historiques et politiques tirer du municipalisme ouvrier ? Mouvements, n° 101(1), 106-115, 2020.

[7] Voir Julien Talpin, Pierre Bonnevalle, « Autonomie association et financement public. Une enquête localisée », Injep, 2024.

[8] Au 1er tour des législatives l’abstention s’élevait à 67,4% en 2022, contre 46,4% en 2024. Le candidat LFI, David Guiraud progresse de près de 9000 voix, attirant les 2/3 des nouveaux électeurs qui se sont rendus aux urnes.

[9] Marion Carrel, Julien Talpin, « Remobiliser les habitants des quartiers populaires par la lutte contre les discriminations ? Politisations ordinaires, aspirations à l’égalité et travail militant », in Louise Gaxie, (dir.), Les classes populaires à l’écart du politique ? Fondation Gabriel Péri, 2024.

[10] Jean Noel Retière, Identités ouvrières. Histoire sociale d’un fief ouvrier en Bretagne 1909-1990, Paris, L’Harmattan, 1994.

[11] Olivier Esteves, Alice Picard, Julien Talpin, La France tu l’aimes mais tu la quittes. Enquête sur la diaspora française musulmane, Paris, Seuil, 2024.

Julien Talpin

Politiste, Chargé de recherche au CNRS

Notes

[1] New York, Harvest Books, 1969 [ma traduction]

[2] Pour plus de détails sur cette enquête, voir Julien Talpin, La colère des quartiers populaires. Enquête socio-historique à Roubaix, Paris, PUF, 2024.

[3] Voir par exemple François Dubet, « Tout se passe comme si les quartiers étaient dans un vide politique, comme si les rages et les révoltes ne débouchaient sur aucun processus politique », Le Monde, 2 juillet 2023.

[4] Julien Talpin, « Une révolte politique, fruit de la répression du militantisme dans les quartiers », AOC, 7 juillet 2023.

[5] Ainsi que le montrent les travaux sur la conscience sociale des classes populaires, voir Haut, bas, fragile : sociologies du populaire entretien avec Annie Collovald & Olivier Schwartz,Vacarme, 15 octobre 2006.

[6] Voir Rémi Lefebvre, Quelles leçons historiques et politiques tirer du municipalisme ouvrier ? Mouvements, n° 101(1), 106-115, 2020.

[7] Voir Julien Talpin, Pierre Bonnevalle, « Autonomie association et financement public. Une enquête localisée », Injep, 2024.

[8] Au 1er tour des législatives l’abstention s’élevait à 67,4% en 2022, contre 46,4% en 2024. Le candidat LFI, David Guiraud progresse de près de 9000 voix, attirant les 2/3 des nouveaux électeurs qui se sont rendus aux urnes.

[9] Marion Carrel, Julien Talpin, « Remobiliser les habitants des quartiers populaires par la lutte contre les discriminations ? Politisations ordinaires, aspirations à l’égalité et travail militant », in Louise Gaxie, (dir.), Les classes populaires à l’écart du politique ? Fondation Gabriel Péri, 2024.

[10] Jean Noel Retière, Identités ouvrières. Histoire sociale d’un fief ouvrier en Bretagne 1909-1990, Paris, L’Harmattan, 1994.

[11] Olivier Esteves, Alice Picard, Julien Talpin, La France tu l’aimes mais tu la quittes. Enquête sur la diaspora française musulmane, Paris, Seuil, 2024.