Numérique

L’IA, l’éthique et la théorie des baïonnettes intelligentes

Sociologue, Numéricienne

Le vote, le 13 mars 2024, d’une loi européenne sur l’intelligence artificielle constitue une pierre fondamentale dans la lutte contre les dérives des nouvelles technologies mal conçues ou mal utilisées. Néanmoins, pour combattre la tendance à la déresponsabilisation des géants de l’IA, cet acte législatif doit être soutenu par des mesures pratiques rendant les IA plus contrôlées et mieux comprises par tous les acteurs qui les créent ou en usent.

Ces dernières années, les nombreux scandales et controverses algorithmiques ont mis en évidence auprès du grand public les risques inhérents à des technologies d’intelligence artificielle (IA) mal pensées, mal conçues et/ou mal utilisées[1]. On peut citer le cas des premiers algorithmes de reconnaissance faciale dans les années 2010 qui ne reconnaissaient pas les visages à peau foncée[2], l’algorithme test de recrutement d’Amazon en 2018 qui écartait systématiquement les CV de femmes pour un poste d’ingénieur en informatique, ou encore l’algorithme de l’application Apple Card (développé par la banque d’affaires Goldman Sachs) en 2019 qui proposait des lignes de crédit jusqu’à vingt fois plus élevées pour des hommes que pour des femmes aux mêmes revenus et aux mêmes conditions fiscales.

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À ces cas de discrimination technologique, on peut ajouter les nombreux cas de fuites ou de mauvais usages de data, comme l’affaire Cambridge Analytica en 2018, et l’emploi des données à caractère personnel de millions d’utilisateurs de Facebook à des fins de manipulation politique.

La plupart de ces scandales auraient pu être évités par la mise en place d’une meilleure gouvernance et le partage des leçons à tirer sur l’origine de ces erreurs[3]. Au contraire, les acteurs les plus puissants et dont les erreurs sont les plus préjudiciables portent un discours qui tend à les déresponsabiliser. En 2024, le patron d’OpenAI, Sam Altman, affirme craindre ce qu’il nomme des « désalignements sociétaux », à l’origine selon lui des nombreux problèmes rencontrés, comme pour se désengager d’un quelconque rôle dans les tests à réaliser sur les jeux de données et les algorithmes une fois entraînés mais aussi pendant leur entraînement. De son côté, Mark Zuckerberg réaffirme régulièrement la difficulté de détecter algorithmiquement la propagation virale de fausses nouvelles alors même que la solution se trouve en grande partie dans la modification de ses algorithmes de recommandation tout e


[1] Cathy O’Neil, Algorithmes. La bombe à retardement (2016), traduit de l’anglais (États-Unis) par Sébastien Marty, Les Arènes, 2018 — Kate Crawford, Contre-atlas de l’intelligence artificielle (2021), traduit de l’anglais (Australie) par Laurent Bury, Zulma, 2022.

[2] Joy Buolamwini, Unmasking AI, Random House, 2023.

[3] Mark Esposito, Aurélie Jean, Guillaume Sibout et Terence Tse, « Les entreprises doivent construire une gouvernance algorithmique devançant la loi », Harvard Business Review France, 2023.

[4] Mihály Héder, « Explainable AI: A Brief History of the Concept », ERCIM News, n° 134, 2023, p. 9-10.

[5] Yann Le Cun, Quand la machine apprend. La révolution des neurones artificiels et de l’apprentissage profond, Odile Jacob, 2019.

[6] Grégoire Chamayou, Théorie du drone, La Fabrique, 2013.

[7] Mark Coeckelbergh, The Political Philosophy of AI: An Introduction, Polity, 2022.

[8] Karl Polanyi, La Grande transformation (1944), traduit de l’anglais (États-Unis) par Maurice Angeno et Catherine Malamoud, Gallimard, 2009 [1ère éd. 1983].

[9] Anselm Strauss, La Trame de la négociation. Sociologie qualitative et interactionnisme, textes réunis et présentés par Isabelle Baszanger, L’Harmattan, 1992.

[10] Dominique Boullier, Propagations. Un nouveau paradigme pour les sciences sociales, Armand Colin, 2023.

[11] Melvin Kranzberg, « Technology and History: “Kranzberg’s Laws” », Technology and Culture, vol. 27, 1986/3, p. 544-560.

[12] Madeleine Akrich, Michel Callon et Bruno Latour, Sociologie de la traduction. Textes fondateurs, Les Presses des Mines, 2006.

[13] Edwin Hutchins, Cognition in the Wild, The MIT Press, 1995.

[14] André Orléan (dir.), Analyse économique des conventions, Presses universitaires de France, 2004.

Dominique Boullier

Sociologue, Professeur à Sciences Po (Paris), chercheur au Centre d'études européennes et de politique comparée (CEE)

Aurélie Jean

Numéricienne, Fondatrice et PDG de In Silico Veritas (New York)

Mots-clés

IA

Notes

[1] Cathy O’Neil, Algorithmes. La bombe à retardement (2016), traduit de l’anglais (États-Unis) par Sébastien Marty, Les Arènes, 2018 — Kate Crawford, Contre-atlas de l’intelligence artificielle (2021), traduit de l’anglais (Australie) par Laurent Bury, Zulma, 2022.

[2] Joy Buolamwini, Unmasking AI, Random House, 2023.

[3] Mark Esposito, Aurélie Jean, Guillaume Sibout et Terence Tse, « Les entreprises doivent construire une gouvernance algorithmique devançant la loi », Harvard Business Review France, 2023.

[4] Mihály Héder, « Explainable AI: A Brief History of the Concept », ERCIM News, n° 134, 2023, p. 9-10.

[5] Yann Le Cun, Quand la machine apprend. La révolution des neurones artificiels et de l’apprentissage profond, Odile Jacob, 2019.

[6] Grégoire Chamayou, Théorie du drone, La Fabrique, 2013.

[7] Mark Coeckelbergh, The Political Philosophy of AI: An Introduction, Polity, 2022.

[8] Karl Polanyi, La Grande transformation (1944), traduit de l’anglais (États-Unis) par Maurice Angeno et Catherine Malamoud, Gallimard, 2009 [1ère éd. 1983].

[9] Anselm Strauss, La Trame de la négociation. Sociologie qualitative et interactionnisme, textes réunis et présentés par Isabelle Baszanger, L’Harmattan, 1992.

[10] Dominique Boullier, Propagations. Un nouveau paradigme pour les sciences sociales, Armand Colin, 2023.

[11] Melvin Kranzberg, « Technology and History: “Kranzberg’s Laws” », Technology and Culture, vol. 27, 1986/3, p. 544-560.

[12] Madeleine Akrich, Michel Callon et Bruno Latour, Sociologie de la traduction. Textes fondateurs, Les Presses des Mines, 2006.

[13] Edwin Hutchins, Cognition in the Wild, The MIT Press, 1995.

[14] André Orléan (dir.), Analyse économique des conventions, Presses universitaires de France, 2004.