Santé

Comment rester moderne après la pandémie de Covid ?

Anthropologue

Le 9 janvier 2020, l’Organisation Mondiale de la Santé convoque la première d’une longue série de téléconférences avec les réseaux d’experts mondiaux à propos d’un nouveau coronavirus. Cinq ans plus tard, les origines du SARS Cov-2 restent controversées mais cet anniversaire incite à la réflexion : comment inscrire cet événement dans notre histoire ? Entre mutation biologique, transformation de la nature et révolution géopolitique, la pandémie de Covid interroge le projet même de la modernité et son devenir.

La pandémie de Covid a commencé il y a cinq ans avec les premiers cas de cette maladie respiratoire très contagieuse à Wuhan. Un tel anniversaire doit favoriser la réflexion : comment inscrire cet événement dans notre histoire et quelle doit être notre relation avec lui ?

La pandémie de Covid met en question le projet même de la modernité, car elle a vu s’effondrer les infrastructures de l’économie globale sous l’effet d’un virus causé par ces mêmes infrastructures. Je distinguerai trois lignes généalogiques pour comprendre l’émergence et la diffusion du SARS Cov-2 responsable de la pandémie de Covid : une mutation du vivant (ligne que je qualifierai d’hyper-moderne), une transformation de la nature (ligne que je qualifierai de non-moderne) et une révolution géopolitique (ligne dont je suggérerai qu’elle est la seule à prolonger le projet émancipateur de la modernité).

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Cette pandémie restera dans les mémoires d’abord pour ses victimes directes – plus de sept millions de personnes sont décédées en étant porteuses du coronavirus SARS-Cov2 selon l’Organisation Mondiale de la Santé – et indirectes – environ quatre milliards de personnes se sont confinées pour limiter la contagion.

Mais le nom du virus qui a causé cette pandémie indique qu’il faut en chercher les origines bien avant 2019 : le SARS-Cov2 est une mutation du SARS-Cov1 détecté dans le sud de la Chine en 2002 lors de la crise du SRAS (Syndrome Respiratoire Aigu Sévère). Au cours de cette crise, un nouveau virus venu des chauves-souris et transmis aux humains par les marchés aux animaux du sud de la Chine a infecté environ 8 000 personnes dont près de 800 sont décédées dans différents pays asiatiques et dans la communauté chinoise de Toronto.

La mobilisation des sociétés asiatiques après cette crise pour se préparer à la prochaine pandémie y explique sans doute la limitation du nombre de victimes dans les premiers temps de la pandémie de Covid en 2020[1]. Pour ces sociétés, la pandémie de Covid s’ins


[1] Frédéric Keck, « Asian tigers and the Chinese dragon. Competition and collaboration between sentinels of pandemics from SARS to COVID‐19 », Centaurus, 62 (2), 2020, p. 311-320.

[2] Laurie Garrett, The Coming Plague : Newly Emerging Diseases in a World Out of Balance, Londres, Penguin, 1995.

[3] Camille Besombes, « L’épidémie de mpox et la multiplication d’émergences infectieuses doit remettre en question nos façons d’habiter la Terre », Le Monde, 24 septembre 2024.

[4] Warwick Anderson, « Natural histories of infectious disease: ecological vision in twentieth-century biomedical science », Osiris. 19, 2004, p. 39-61 ; Willy Gianinazzi, « Penser global, agir local. Histoire d’une idée », EcoRev’. Revue critique d’écologie politique, 46, 2018, p. 19-30.

[5] « Épidémies. Prendre soin du vivant », Musée des Confluences, Lyon, 14 avril 2024-5 février 2025.

[6] Jared Diamond, De l’inégalité parmi les sociétés : Essai sur l’homme et l’environnement dans l’histoire, Gallimard, 2001 ; William McNeill, Plagues and Peoples, New York, Anchor Books, 1976.

[7] Je reprends le terme de géopolitique à Pierre Charbonnier dans Vers l’écologie de guerre. Une histoire environnementale de la paix, La Découverte, 2024. Si je partage sa thèse selon laquelle la question écologique doit être posée à l’échelle temporelle de la modernité pour donner une prise à l’action réflexive, je ne reprends pas sa proposition selon laquelle il faudrait « redonner sa chance an naturalisme », comme il l’écrit dans le Cahier de l’Herne en hommage à Philippe Descola, car je m’intéresse plutôt aux transformations de ce que celui-ci appelle l’animisme dans les sociétés modernes.

[8] Frédéric Keck, Les sentinelles des pandémies. Chasseurs de virus et observateurs d’oiseaux aux frontières de la Chine, Seuil, 2021 ; Préparer l’imprévisible. Lévy-Bruhl et les sciences de la vigilance, PUF, 2023 ; Politique des zoonoses. Vivre avec les animaux au temps des virus pandémiques, La Découverte, 2024.

[9] Grégoire Cham

Frédéric Keck

Anthropologue, Directeur de recherche au CNRS

Mots-clés

Covid-19

Notes

[1] Frédéric Keck, « Asian tigers and the Chinese dragon. Competition and collaboration between sentinels of pandemics from SARS to COVID‐19 », Centaurus, 62 (2), 2020, p. 311-320.

[2] Laurie Garrett, The Coming Plague : Newly Emerging Diseases in a World Out of Balance, Londres, Penguin, 1995.

[3] Camille Besombes, « L’épidémie de mpox et la multiplication d’émergences infectieuses doit remettre en question nos façons d’habiter la Terre », Le Monde, 24 septembre 2024.

[4] Warwick Anderson, « Natural histories of infectious disease: ecological vision in twentieth-century biomedical science », Osiris. 19, 2004, p. 39-61 ; Willy Gianinazzi, « Penser global, agir local. Histoire d’une idée », EcoRev’. Revue critique d’écologie politique, 46, 2018, p. 19-30.

[5] « Épidémies. Prendre soin du vivant », Musée des Confluences, Lyon, 14 avril 2024-5 février 2025.

[6] Jared Diamond, De l’inégalité parmi les sociétés : Essai sur l’homme et l’environnement dans l’histoire, Gallimard, 2001 ; William McNeill, Plagues and Peoples, New York, Anchor Books, 1976.

[7] Je reprends le terme de géopolitique à Pierre Charbonnier dans Vers l’écologie de guerre. Une histoire environnementale de la paix, La Découverte, 2024. Si je partage sa thèse selon laquelle la question écologique doit être posée à l’échelle temporelle de la modernité pour donner une prise à l’action réflexive, je ne reprends pas sa proposition selon laquelle il faudrait « redonner sa chance an naturalisme », comme il l’écrit dans le Cahier de l’Herne en hommage à Philippe Descola, car je m’intéresse plutôt aux transformations de ce que celui-ci appelle l’animisme dans les sociétés modernes.

[8] Frédéric Keck, Les sentinelles des pandémies. Chasseurs de virus et observateurs d’oiseaux aux frontières de la Chine, Seuil, 2021 ; Préparer l’imprévisible. Lévy-Bruhl et les sciences de la vigilance, PUF, 2023 ; Politique des zoonoses. Vivre avec les animaux au temps des virus pandémiques, La Découverte, 2024.

[9] Grégoire Cham