Société

Actualités de l’infrapensée raciste

Anthropologue

Incarnant une manière de penser à droite si radicale qu’elle abolit toute distance sanitaire avec l’extrême droite, Bruno Retailleau, récemment confirmé dans ses fonctions de ministre de l’Intérieur, participe d’un renouvellement du racisme, où la race n’est plus nommée, mais où les politiques nationalistes et xénophobes visent constamment les mêmes individus. Des plus hautes sphères de l’État, ce racisme en acte ruisselle vers toute la société.

L’ex-sénateur du parti Les Républicains Bruno Retailleau a mis tant de zèle à se montrer présent dans les médias comme défenseur d’une politique obstinément sécuritaire et xénophobe quand il était ministre de l’Intérieur du gouvernement de Michel Barnier (du 5 septembre au 13 décembre 2024) qu’il a été tout simplement reconduit dans cette même fonction dans le suivant, dirigé par François Bayrou (du 13 décembre 2024 au…). Ayant commencé sa carrière publique comme animateur du spectacle du Puy du Fou – qui, depuis 1978, montre une histoire vendéenne et nationale révisionniste et identitaire – aux côtés de l’idéologue de la droite nationale Philippe de Villiers, son mentor, il en a gardé puis nourri un engagement idéologique qui l’impose aujourd’hui dans le paysage politique.

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Il incarne en effet une manière de « penser à droite » dans sa version la plus conservatrice, qui ne laisse presque plus d’espace entre la droite et l’extrême droite[1]. C’est une pensée de l’ordre contre la menace constante du désordre – le ministre Retailleau s’attachant à la faire entendre dès sa première prise de fonction en martelant : « Rétablir l’ordre, rétablir l’ordre, rétablir l’ordre ! » –, une pensée des hiérarchies naturelles et naturellement inégalitaires, du caractère premier de l’individu – qui doit être à la fois valorisé économiquement et contrôlé politiquement – et une conception de la nation comme communauté attachée à la terre-racine et à la filiation – c’est-à-dire à la race définie du point de vue le plus ancien et élémentaire de la généalogie et de l’hérédité[2].

Sa proximité avec son mentor, Philippe de Villiers, a poussé Bruno Retailleau vers une conception terrienne de la nation originelle. Il est donc parfaitement banal, pour ce cadre de pensée, de dire que les Orientaux syriens doivent être repoussés ou expulsés dès qu’un événement nouveau du contexte géopolitique laisse croire à une ouverture positive pour des millions de déracinés (mais moins de quarante m


[1] Voir Emmanuel Terray, Penser à droite, Galilée, 2012 ainsi que les commentaires de son ouvrage par Alain Policar et par Claude Calame.

[2] Voir Jean-Frédéric Schaub, Pour une histoire politique de la race, Seuil, 2015.

[3] Sur la joie mais aussi la complexité de la situation des exilés syriens après le renversement de Bachar al-Assad, voir notamment les analyses de Kamel Doraï et de Franck Mermier.

[4] Comme le soulignent les architectes Cyrille Hanappe et Dominique Tessier, qui travaillent depuis plusieurs années pour l’accompagnement et la transformation de ces quartiers.

[5] Voir également les analyses d’Anne Chemin.

[6] Vincent Tiberj, La Droitisation française. Mythe et réalités, Presses universitaires de France, 2024.

[7] Gayatri C. Spivak, Les subalternes peuvent-elles parler ? (1988), traduit de l’anglais par Jérôme Vidal, Amsterdam, 2009.

[8] Voir notamment l’ouvrage de Stéphane Beaud et Gérard Noiriel, Race et sciences sociales. Essai sur les usages publics d’une catégorie, Agone, 2021 et leur réfutation du point de vue des enquêtes de terrain sur la place du racisme dans le vote du Rassemblement national dans l’ouvrage de Félicien Faury, Des électeurs ordinaires. Enquête sur la normalisation de l’extrême droite, Seuil, 2024.

[9] Cette analyse est plus amplement développée dans Michel Agier, Racisme et culture. Explorations transnationales, chapitre 2 (« Dystopies raciales »), Seuil, 2025, p. 51-103.

[10] Sur le « statut de réalité » de la race, je renvoie à l’enquête philosophique de Magali Bessone, Sans distinction de race ? Une analyse critique du concept de race et de ses effets pratiques, Vrin, 2013.

Michel Agier

Anthropologue, Directeur d'études à l'EHESS, Directeur de recherche à l'IRD

Notes

[1] Voir Emmanuel Terray, Penser à droite, Galilée, 2012 ainsi que les commentaires de son ouvrage par Alain Policar et par Claude Calame.

[2] Voir Jean-Frédéric Schaub, Pour une histoire politique de la race, Seuil, 2015.

[3] Sur la joie mais aussi la complexité de la situation des exilés syriens après le renversement de Bachar al-Assad, voir notamment les analyses de Kamel Doraï et de Franck Mermier.

[4] Comme le soulignent les architectes Cyrille Hanappe et Dominique Tessier, qui travaillent depuis plusieurs années pour l’accompagnement et la transformation de ces quartiers.

[5] Voir également les analyses d’Anne Chemin.

[6] Vincent Tiberj, La Droitisation française. Mythe et réalités, Presses universitaires de France, 2024.

[7] Gayatri C. Spivak, Les subalternes peuvent-elles parler ? (1988), traduit de l’anglais par Jérôme Vidal, Amsterdam, 2009.

[8] Voir notamment l’ouvrage de Stéphane Beaud et Gérard Noiriel, Race et sciences sociales. Essai sur les usages publics d’une catégorie, Agone, 2021 et leur réfutation du point de vue des enquêtes de terrain sur la place du racisme dans le vote du Rassemblement national dans l’ouvrage de Félicien Faury, Des électeurs ordinaires. Enquête sur la normalisation de l’extrême droite, Seuil, 2024.

[9] Cette analyse est plus amplement développée dans Michel Agier, Racisme et culture. Explorations transnationales, chapitre 2 (« Dystopies raciales »), Seuil, 2025, p. 51-103.

[10] Sur le « statut de réalité » de la race, je renvoie à l’enquête philosophique de Magali Bessone, Sans distinction de race ? Une analyse critique du concept de race et de ses effets pratiques, Vrin, 2013.