Terres brûlées au Moyen-Orient
La presse internationale s’en était largement fait l’écho : mi-décembre 2024, dans un communiqué en forme de bilan de son action, le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, adoptait un ton triomphal, lui qui avait promis au début de son offensive militaire de « changer la face du Moyen-Orient ».
Après Gaza et le Liban, la chute du régime d’Assad en Syrie achevait de le combler. Nulle mention des milliers de victimes civiles, à Gaza d’abord (plus de quarante-cinq mille désormais), puis au Liban. Pas la moindre allusion à l’image dégradée de l’État d’Israël dans le monde ni aux menaces qui continuent de peser sur ses citoyens. Dans cette politique israélienne de la terre brulée, nulle réflexion non plus sur le coût de la reconstruction d’une bande de Gaza exsangue, où la moitié des bâtiments ont été détruits, hôpitaux compris. Et, bien sûr, aucune mention des chimères de Netanyahou et de son gouvernement, que l’offensive militaire n’est pas parvenue à concrétiser.
Comme cela était prévisible, Israël n’a pas « détruit » le Hamas. Si ses principaux chefs ont été tués, le parti responsable de la tragique attaque du 7 octobre 2023 – près de mille deux cents personnes tuées et plus de deux cent cinquante civils pris en otage en Israël – demeure la principale force politique et militaire à Gaza. Benyamin Netanyahou, lui, n’a pas eu à répondre du désastre sécuritaire qu’a constitué cette attaque du Hamas. Toutes les leçons de cette tragédie sans précédent sur le sol d’Israël ont-elle été tirées ?
Pour le Premier ministre, qu’importe ! Seule compte la politique entamée de longue date : celle du fait accompli, dans les territoires palestiniens, avec le lent grignotage de la Cisjordanie, de Gaza, puis au Liban, et maintenant en Syrie. Mi-décembre toujours, le gouvernement israélien a ainsi approuvé un projet de Netanyahou visant à doubler la population dans la partie du plateau du Golan syrien occupée et annexée de manière illégale par Israël. Environ trente mille citoyens israéliens vivent actuellement dans trente-quatre localités du Golan.
Outre le renforcement de l’occupation israélienne, l’une des conséquences de la chute du régime d’Assad fut la démonstration de l’affaiblissement de son allié iranien, incapable de prévenir la déroute du dictateur syrien que Téhéran avait pourtant mis tant d’énergie à défendre. Plus que jamais en position de faiblesse, la République islamique d’Iran sera-t-elle la prochaine cible de la politique israélienne ? Iran, Syrie, Israël : tel est le trio à suivre en 2025, alors que trois questions majeures se posent.
Jusqu’où ira Israël ?
Mercredi 15 janvier 2025, soit un mois tout juste après le discours triomphal de Netanyahou, un cessez-le-feu a été annoncé à Gaza. Dans le détail, l’accord prévoit la libération de quatre-vingt-dix-huit otages israéliens (quatre-vingt-quatorze capturés le 7 octobre 2023 et quatre kidnappés précédemment) en échange de plusieurs centaines de prisonniers palestiniens, mais aussi le retrait progressif des forces israéliennes, l’entrée de l’aide humanitaire dans Gaza et le retour des populations palestiniennes déplacées.
Dès le lendemain de cette annonce, cependant, la défense civile de la bande de Gaza a fait état de soixante-treize morts lors d’une frappe israélienne, laissant craindre que le cessez-le-feu ne soit une nouvelle fois qu’un rideau de fumée. L’accord de cessez-le feu prévoit en outre que l’armée israélienne demeure dans une partie de l’enclave palestinienne, ce qui permettrait à Israël d’occuper à nouveau Gaza.
Or c’est là tout l’objectif à long terme d’une partie des colons israéliens, qui n’ont jamais digéré l’évacuation des colonies du Gush Katif – huit mille cinq cents colons –, installées à Gaza jusqu’en 2005 et évacuées cette année-là. Depuis vingt ans, les colons ont largement investi l’armée, les partis politiques et l’administration. Les voilà plus près que jamais de leur projet. Arriveront-ils à leurs fins ? Les prochaines semaines seront déterminantes pour comprendre quelle suite Israël entend donner à ce cessez-le-feu.
Netanyahou, lui, fait désormais face aux tribunaux : corruption, fraude et abus de confiance… il est le premier chef du gouvernement israélien à être poursuivi pénalement durant l’exercice de ses fonctions. Quelle sera l’issue de ce procès inédit ? En Israël, le rapport de forces politique et judiciaire déterminera dans une large mesure la poursuite de la guerre permanente menée par son Premier ministre.
À cela s’ajoute un élément supplémentaire, économique celui-là : si le cessez-le-feu à Gaza tient bon, tous les regards seront tournés vers les miliciens houthis. Liés à l’Iran, ces rebelles yéménites ont lancé, fin 2024, une série d’attaques contre Israël. Si aucun civil n’a été tué grâce au système de défense israélien, un missile a néanmoins touché le centre de Tel-Aviv, blessant seize personnes. Au-delà du soutien américain, le coût du système antimissile et plus largement de cette guerre permanente menée par Israël continue de peser lourdement sur les finances publiques du pays. Au point d’influer sur la doctrine militaire actuelle ? L’armée israélienne ne pourra pas se projeter au Yémen de la même façon qu’elle l’a fait à Gaza, au Liban ou même en Syrie.
Que nous réserve la transition syrienne ?
En septembre 2019, l’hebdomadaire britannique The Economist titrait « Assad’s hollow victory » (« La victoire creuse d’Assad »). Cinq ans plus tard, la déroute aussi rapide que surprenante de l’ancien président syrien a confirmé la faiblesse intrinsèque de son régime. Elle a permis, aussi, de préciser ce que les rapports des organisations internationales dénonçaient depuis des années : l’horreur des prisons syriennes et les exécutions d’opposants par milliers. La chute du régime est donc une bonne nouvelle pour les Syriens et pour toute la région. La suite demeure incertaine. Avec quels moyens sera-t-il possible de reconstruire ce pays en ruine ? Entre 2010 et 2023, le PIB de la Syrie a fondu de 84 %, transformant le pays en un narco-État qui a survécu grâce au trafic de captagon.
Au-delà de l’économie, aucune institution indépendante ne permet aujourd’hui de garantir ni d’administrer la transition jusqu’aux prochaines élections, annoncées pour dans quatre ans, selon le nouveau maître de Damas, Ahmed al-Charaa, chef de l’Organisation de libération du Levant (Hayat Tahrir al-Cham, HTC). En Syrie, le risque est que ce vide institutionnel, couplé au besoin d’occuper les fonctions régaliennes laissées vacantes par les hommes d’Assad, entraîne la confiscation de la transition par les proches d’al-Charaa, qui constituent l’essentiel du cabinet actuellement aux affaires.
De retour en Syrie, la diaspora a pourtant un rôle immense à jouer. Sera-t-elle autorisée à le faire par le pouvoir actuel ? par les intérêts étrangers impliqués jusque-là dans la guerre civile ? Turquie, Iran, Israël, Liban, Arabie Saoudite, Russie, aucun n’a intérêt à voir émerger un État syrien fort ni, au contraire, un pouvoir fantoche soumis à une puissance concurrente. À commencer par Israël, qui a profité de la chute du régime d’Assad pour bombarder plusieurs dépôts et réserves militaires syriens, menant plus de trois cents frappes en Syrie aux lendemains du départ d’Assad.
De quelle manière la Turquie voisine, dont le rôle s’annonce important, soutiendra-t-elle la transition vers un régime démocratique, qui comprendrait nécessairement une dose de fédéralisme favorable aux Kurdes ? Parrains de la contre-révolution en Égypte il y a dix ans, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis soutiendront-ils cette fois-ci la transition démocratique en Syrie, où des factions de l’État islamique demeurent actives ? Les Émirats, qui avaient joué la carte de la réconciliation avec Assad sans en recueillir les fruits économiques, semblent pour l’heure en retrait.
Dans ce corset économique et géopolitique, la marge des Syriens est étroite. Il faudra pourtant rebâtir un État et une armée unifiés, incorporant les factions du sud et kurdes, afin de garantir le chemin vers une transition démocratique apaisée, prémunie contre les ingérences extérieures.
Quel rôle régional peut encore jouer l’Iran ?
Sauveur, avec la Russie, du régime d’Assad, la République islamique d’Iran a perdu gros avec la chute de son protégé et l’affaiblissement de son relais libanais, le Hezbollah. Début 2025, ses capacités de projection régionale n’ont plus rien de commun avec ce qu’elles étaient il y a encore trois mois. L’Iran, qui, depuis les années 1980, avait construit un puissant réseau d’alliances au Moyen-Orient pour ne plus se retrouver dans la situation d’isolement qui était la sienne au début de la guerre Iran-Irak, subit une perte d’influence régionale inédite. Pour quelles conséquences ?
Au-delà de son partenaire yéménite, les rebelles houthis, et des milices irakiennes qu’il contrôle, l’Iran possède-t-il encore un pouvoir de nuisance à même de dissuader ses adversaires de lui nuire, Israël en tête ? Son horizon et sa marge de manœuvre semblent s’être considérablement rétrécis.
Les sanctions internationales continuent, elles, de miner son économie. En témoigne la chute de la monnaie iranienne. Comme si cela ne suffisait pas, le retour de Trump à la présidence des États-Unis lui oppose un président américain agressif, aligné sur les objectifs du cabinet israélien et qui ne restera pas inactif face à la perspective de l’acquisition de l’arme nucléaire par Téhéran.
Retour de Trump à la présidence des États-Unis, sanctions internationales, défis internes et contestations populaires, menace militaire israélienne, crise économique et perte d’influence régionale… 2025 s’annonce comme l’année de tous les dangers pour la République islamique d’Iran.