Politique

Le conflit israélo-palestinien, révélateur de nos néo-idéologies

Sociologue

Libéralisme, pensée réactionnaire, socialisme : les trois traditions idéologiques structurant la modernité politique ont connu, depuis la fin du XXe siècle, des mutations décisives, qui correspondent à un effort d’adaptation aux exigences du capitalisme mondialisé. Dans le cadre du conflit israélo-palestinien, se révèle l’incapacité de l’écosocialisme, pourtant la seule voie possible, à résoudre cette guerre.

À la mémoire de Philippe Chanial

Si une machine à voyager dans le temps permettait à un observateur politique vivant dans les années 1970 de se téléporter de nos jours en Europe ou en Amérique du Nord, il serait sans doute très étonné de découvrir les positionnements idéologiques que suscite l’actuel conflit entre l’État hébreu d’une part, le Hamas, le Hezbollah et l’Iran d’autre part.

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Cet observateur en était resté à l’idée que l’extrême droite est animée par un antisémitisme viscéral. Or l’extrême droite qu’il découvre en ce milieu des années 2020 se vante d’apporter un soutien indéfectible au droit des Juifs israéliens de riposter contre les violences subies le 7 octobre 2023. Plus encore, elle affirme la nécessité de se montrer « compréhensif » à l’égard de l’extension de la colonisation israélienne en Cisjordanie, qu’elle interprète comme étant une mesure d’autoprotection. Ce soutien, notons-le, est antérieur aux massacres du 7 octobre : un bilan dressé récemment par la Coalition européenne pour Israël (European Coalition for Israel) a fait apparaître que les vingt partis dont les votes ont été les plus favorables à Israël lors de la neuvième législature du Parlement européen (2019-2024) appartiennent tous sans exception à l’extrême droite et aux eurosceptiques, principalement au groupe des Conservateurs et réformistes européens (European Conservatives and Reformists Group).

Notre voyageur temporel en était resté, par ailleurs, à la vision selon laquelle l’extrême gauche est profondément attachée à la défense des valeurs laïques, égalitaristes et féministes. Voilà qu’il constate que celle qu’il a sous ses yeux en ce milieu des années 2020 se refuse à condamner comme telles les exactions terroristes sans précédent commises le 7 octobre 2023 par un mouvement, le Hamas, qui veut voir triompher une conception réactionnaire et patriarcale des rapports sociaux et dont l’objectif final affiché est d’instaurer un État intégralement fondé sur la loi islamique.


[1] Voir, notamment, Philippe Corcuff, La Grande confusion. Comment l’extrême droite gagne la bataille des idées, Paris : Textuel, 2021.

[2] Telle est du moins la perspective que nous avons développée avec Bruno Karsenti, dans notre ouvrage Socialisme et sociologie, Paris : École des hautes études en sciences sociales, 2017.

[3] Cette hypothèse est au centre de notre ouvrage consacré à l’analyse des trois néo-idéologies et aux causes socio-historiques de leur émergence (à paraître).

[4] Si, dans nos sociétés, les critiques du néolibéralisme sont légion, il faut cependant noter que les principes qui les fondent sont quasi exclusivement d’inspiration réactionnaire ou socialiste plutôt que libérale. Cette absence d’une critique proprement libérale du néolibéralisme doit être reconnue, à notre sens, comme le symptôme majeur de la disparition du libéralisme dans la forme qu’il prenait avant les années 1980.

[5] Sur ces deux points, voir, notamment, Quinn Slobodian, Les Globalistes. Une histoire intellectuelle du néolibéralisme (2018), traduit par Cyril Le Roy, Paris : Le Seuil, 2022, ainsi que Pierre Dardot, Haud Guéguen, Christian Laval et Pierre Sauvêtre, Le Choix de la guerre civile. Une autre histoire du néolibéralisme, Montréal (Canada) : Lux, 2021.

[6] Comme le rappelle le journaliste Gilles Paris, le temps n’est pas si lointain où les membres de l’organisation étudiante Groupe union défense (GUD), alors proches de Marine Le Pen, scandaient des slogans tels que « Deauville, Sentier, territoires occupés » ou « À Paris comme à Gaza, Intifada ».

[7] Voir Jean-Pierre Filiu, Comment la Palestine fut perdue et pourquoi Israël n’a pas gagné. Histoire d’un conflit (XIXe-XXIe siècles), Paris : Seuil, 2024, chapitre n° 1.

[8] Samuel P. Huntington, Le Choc des civilisations (1996), traduit de l’anglais par Jean-Luc Fidel et al., Paris : Odile Jacob, 2000.

[9] C’est donc à tort, selon nous, que l’antipalestinisme d’extrême droite est rapporté à une motivation « raciste » au se

Cyril Lemieux

Sociologue, Directeur du Laboratoire interdisciplinaire d’études sur les réflexivités – Fonds Yan Thomas

Rayonnages

Politique

Notes

[1] Voir, notamment, Philippe Corcuff, La Grande confusion. Comment l’extrême droite gagne la bataille des idées, Paris : Textuel, 2021.

[2] Telle est du moins la perspective que nous avons développée avec Bruno Karsenti, dans notre ouvrage Socialisme et sociologie, Paris : École des hautes études en sciences sociales, 2017.

[3] Cette hypothèse est au centre de notre ouvrage consacré à l’analyse des trois néo-idéologies et aux causes socio-historiques de leur émergence (à paraître).

[4] Si, dans nos sociétés, les critiques du néolibéralisme sont légion, il faut cependant noter que les principes qui les fondent sont quasi exclusivement d’inspiration réactionnaire ou socialiste plutôt que libérale. Cette absence d’une critique proprement libérale du néolibéralisme doit être reconnue, à notre sens, comme le symptôme majeur de la disparition du libéralisme dans la forme qu’il prenait avant les années 1980.

[5] Sur ces deux points, voir, notamment, Quinn Slobodian, Les Globalistes. Une histoire intellectuelle du néolibéralisme (2018), traduit par Cyril Le Roy, Paris : Le Seuil, 2022, ainsi que Pierre Dardot, Haud Guéguen, Christian Laval et Pierre Sauvêtre, Le Choix de la guerre civile. Une autre histoire du néolibéralisme, Montréal (Canada) : Lux, 2021.

[6] Comme le rappelle le journaliste Gilles Paris, le temps n’est pas si lointain où les membres de l’organisation étudiante Groupe union défense (GUD), alors proches de Marine Le Pen, scandaient des slogans tels que « Deauville, Sentier, territoires occupés » ou « À Paris comme à Gaza, Intifada ».

[7] Voir Jean-Pierre Filiu, Comment la Palestine fut perdue et pourquoi Israël n’a pas gagné. Histoire d’un conflit (XIXe-XXIe siècles), Paris : Seuil, 2024, chapitre n° 1.

[8] Samuel P. Huntington, Le Choc des civilisations (1996), traduit de l’anglais par Jean-Luc Fidel et al., Paris : Odile Jacob, 2000.

[9] C’est donc à tort, selon nous, que l’antipalestinisme d’extrême droite est rapporté à une motivation « raciste » au se