L’invisibilisation de la mort au travail
Mourir au travail n’est pas un simple fait divers. Pourtant dans une société si sensible au moindre incident violent et si réactive aux actes de cette nature, ceux qui se déroulent dans les entreprises sont masqués par un voile d’ignorance qui interroge. Pourtant comme nous allons le montrer, les accidents du travail, en partie mortels, sont constants et même en augmentation depuis vingt ans. Selon les données de Eurostat, il y a annuellement 3,32 accidents mortels pour 100 000 personnes en activité. Quotidiennement, cela donne 100 accidents graves et deux mortels.

Malgré ce piètre score, l’invisibilité sociale du problème perdure. La sous-qualification de ces situations de violence caractérisée conduit à poser, une nouvelle fois, la question récurrente des conditions nécessaires à l’émergence d’un problème public et à la concrétisation d’une réaction sociale proportionnée aux dommages causés.
Bien évidemment ce constat n’est pas nouveau. De nombreux précédents ont déjà établi que tous les morts n’ont pas le même impact social, que tous les décès accidentels ne blessent pas de façon équivalente la conscience collective. Le phénomène de la mortalité routière et de l’impact des abus de vitesse et d’alcool longtemps ignoré n’a commencé à changer de statut qu’en 1983 avec la création de la Ligue contre la violence routière initiée par des familles de victimes. Plus récemment, qu’il s’agisse de viols, de violences intra-familiales, d’abus subis par les enfants, de féminicides ou d’abus de pouvoir institutionnels sur les personnes, les sociétés occidentales ont montré jusqu’au début des années 2000 un niveau de tolérance très élevé. Il serait plus juste de parler d’auto-aveuglement. Et si une réaction sociale a pris forme, elle est loin d’avoir totalement enrayé ces pratiques violentes.
Un autre exemple plus récent montre l’importance des obstacles à la mise en visibilité des violences subies par les personnes. Il a fallu une enquête journalistique et l’ouvrage de Victor Castanet Les Fossoyeurs (Fayard, 2022) pour que soient dénoncées les maltraitances des personnes âgées en institution, la recherche du profit par les établissements et l’usage abusif des fonds publics. Quelques rapports d’inspection avaient précédé le travail de Victor Castanet, sans effet notable. Depuis, de nombreuses enquêtes judiciaires ont été ouvertes. La réaction sociale s’est concrétisée avec la réalisation de rapports, l’ouverture de plusieurs procédures judiciaires, des mises en détention provisoire de dirigeants et la menace de faillite de plusieurs entreprises spécialisées.
La formule de C.W. Anderson est aujourd’hui bien connue : « Élaborer une politique publique, ne signifie pas uniquement résoudre des problèmes, cela signifie préalablement les construire[1]. » Felstiner, Abel et Sarat ont distingué les trois étapes nécessaires à cette « construction » : tout d’abord, borner et prendre la mesure d’un enjeu ; ensuite désigner les acteurs concernés par des mobilisations ; enfin, saisir des institutions et choisir des mesures susceptibles de modifier les comportements[2]. Sur ces différents plans, les accidents du travail mortels présentent des traits particuliers qui sont autant d’obstacles à leur connaissance et à leur prise en charge.
Une difficile prise de mesure
Paradoxalement, le chiffrage des accidents n’est pas en lui-même suffisant pour établir la gravité de ce phénomène. Pourtant, les données quantitatives devraient interpeller. Il y a en France cent accidents graves par jour et deux décès quotidiens, entre 790 (en 2019) et 789 (en 2022) annuels. Ce nombre est proche de celui de l’ensemble des homicides (meurtres et assassinats) : trois par jour. Selon les données de l’Insee, les faits de « violence extrême » régressent depuis 1990 et sont stables au niveau de 1 100 annuels depuis la fin des années 2000.
Ces deux nombres sont vraisemblablement d’autant plus proches que le chiffre noir, la partie non connue des accidents du travail, est élevé. En effet les statistiques du ministère du Travail sont basées sur les données des CPAM (Caisse primaire d’assurance maladie) en charge des indemnisations. Mais celles-ci ne couvrent pas tous les secteurs professionnels. Ne sont pas couverts les travailleurs indépendants (nombreux dans la sous-traitance en bâtiment, secteur à l’accidentologie élevée). De même les salariés agricoles pour lesquels des données sont disponibles via leurs mutuelles. Pour 2023, elles indiquent 110 accidents mortels, soit un accident tous les trois jours. La marine dispose de quelques chiffres pour ses ouvriers et apprentis : 12 accidents mortels annuels sont enregistrés.
Le flou augmente avec les personnels de la fonction publique et des collectivités locales car les données mêlent maladies professionnelles et accidents, l’accent étant mis sur les congés et indemnisations. La situation est équivalente pour les personnels des manufactures d’armement pour lesquels les accidents mortels ne sont pas mentionnés. L’écart apparent de 300 décès entre homicides et accidents du travail mortel est vraisemblablement plus réduit. Et l’on peut s’étonner qu’aucune enquête n’ait jusqu’à ce jour éclairci cette situation.
Ces deux causes de mortalité (accident du travail/violence extrême) sont donc en grande partie équivalente. On ne peut se contenter de dire qu’il y a fatalité du côté des premiers et insécurité du côté des seconds. C’est donc à tort que certains opposent l’erreur technique à la faute intentionnelle. Un rapport d’inspection a ainsi refusé d’inclure dans la délinquance économique et financière le droit pénal du travail. Pourtant, dans les deux cas, c’est bien la responsabilité d’un employeur qui est engagée. Contrairement aux homicides, il n’y aurait pas selon l’inspection, d’intentionnalité dans les accidents du travail. Certes les employeurs ne poussent pas les ouvriers du haut des échafaudages, mais ce sont les failles de leurs mesures de sécurité qui sont en cause. Comment faut-il qualifier les négligences coupables et les fautes lourdes dans l’organisation du travail ?
Un autre point d’incertitude concerne la question des « accidents de trajet ». Pour 2022, la CNAM en répertoriait 240 dont 164 d’origine routière. Si on les totalise avec les accidents mortels sur le lieu de travail on obtient 978 cas, ceux liés au trajet représentent ainsi 32,5 % de cet ensemble. Ce résultat est alors très proche de celui des « violences extrêmes ». Cependant la notion de « trajet » demeure floue. S’agit-il toujours d’événements intervenant hors du temps de travail ou n’ayant aucun lien avec lui ? Excepté une étude de la DARES[3], ces points n’ont pas été très approfondis. C’est pourquoi le chiffrage des victimes exclut en général les « accidents de trajet ».
Ces différentes incertitudes dans le cadrage des accidents mortels du travail en tant que problème public sont renforcées par la faiblesse des mobilisations qu’ils ont suscitées.
La faiblesse des mobilisations
Il a fallu attendre novembre 2022 pour que le Collectif des familles, stop à la mort au travail se constitue et entame des actions pour faire reconnaître l’ampleur du problème et de son déni social. Il n’est cependant pas possible de soutenir que l’on a alors découvert l’ampleur de l’enjeu. La CNAM publie annuellement des données sur ce sujet. Une enquête de la Cour des comptes de 2018 dresse le bilan de la réforme de l’administration du travail de 2015 et attire l’attention sur l’enjeu de la sécurité. Un second rapport de 2024 analyse les ressources humaines de ce ministère et leurs conséquences, entre autres sur le contrôle de la sécurité au travail. Un ouvrage récent de Matthieu Lépine est explicitement intitulé « L’hécatombe invisible – Enquête sur les morts au travail »[4]. Mais il n’a absolument pas eu le même écho que celui sur les pratiques des EHPADs, ni dans la presse, ni auprès des pouvoirs publics. Nul ne peut plaider l’ignorance. En 2024, la visibilité médiatique a été accentuée sur notre sujet. C’est le cas du Monde[5]qui y a consacré plusieurs articles et de Mediapart[6].
À l’évidence, la visibilité sociale des accidents du travail reste entravée par un ensemble de facteurs. Les conditions de leur repérage et de leur signalement tiennent un rôle déterminant dans cette invisibilité persistante.
Des signalements aléatoires
Une recherche effectuée par deux juristes lyonnaises (Cécile Barberger, Evelyne Serverin) a été la première à démontrer (il y a plus de quarante ans …) les différences majeures dans la visibilité des accidents mortels au travail en fonction de la réaction immédiate qu’ils suscitent[7]. Dans les entreprises, les Comités d’hygiène, de sécurité, et des conditions de travail (CHSCT)[8] sont, en théorie, les premiers informés de ces événements. Ils doivent mener une enquête et faire figurer leurs conclusions dans un rapport annuel. Mais ces informations demeurent internes à l’entreprise. Aucune communication extérieure n’est prévue. Pour y avoir accès, l’Inspection du travail devrait consulter les procès-verbaux de séance des CHSCT. Il faut aussi rappeler que les accidents de moindre gravité sont souvent traités sur un mode fataliste (les accidents du métier) ou comme l’a montré Nicolas Dodier, disqualifiés en tant que défaut de compétence[9].
Barberger et Serverin mettent tout d’abord l’accent sur la différence entre les accidents survenus et ceux qui sont signalés à un organisme extérieur. Seuls les cas d’accident mortel sont en théorie systématiquement signalés à la police car leur rapport est indispensable à l’inhumation (Art. 81 du code civil[10]). Mais il peut y avoir des exceptions lorsque l’accident a lieu sur un chantier éloigné d’un centre urbain. Une autre situation entrave le signalement, le fait que le décès de la victime ne soit pas immédiat. L’accidenté peut avoir été conduit à l’hôpital voire à son domicile.
En principe dans les cas de mort violente (accident, suicide) l’intervention d’un officier de police est nécessaire. Mais en pratique les médecins peuvent passer outre et établir un certificat de décès à destination d’un officier d’état civil qui établira le permis d’inhumer. Enfin, il peut exister des contradictions institutionnelles entre le lieu de l’accident qui détermine la juridiction compétente, alors que l’affiliation à la CPAM s’effectue en fonction du siège de l’entreprise. Le signalement peut être égaré entre les deux. Mais de façon générale, ce sont les autorités policières qui sont les plus régulièrement informées, cependant s’agissant « d’accident corporel » leur statistique est difficilement exploitable car elle mêle des situations très différentes.
Deux autres écarts sont mis en évidence par la recherche de Barberger et Serverin, ceux qui existent entre le nombre de dossiers suivis par la CPAM (en charge de l’indemnisation), ceux connus de l’Inspection du travail et ceux signalés à la justice. Ces écarts sont toujours valables aujourd’hui. Ils sont de plusieurs dizaines entre la CPAM et l’Inspection du travail. Ainsi pour 2022, les données de l’Assurance maladie indiquent 738 accidents du travail mortels enregistrés, auxquels on peut ajouter 240 décès consécutifs à des accidents de trajet (dont 164 d’origine routière) soit un total de 978. On note une augmentation de 12,6 % par rapport à 2021. Relevons aussi que 36 décès concernent des jeunes de moins de 25 ans (4,8 %)[11]. De façon étonnante, les données fournies par les rapports d’activité de l’Inspection du travail sont peu détaillées sur les accidents[12]. L’inspection du travail indique avoir eu connaissance en moyenne de 640 accidents mortels durant la période 2010-2020 : 560 en entreprise et 80 dans le secteur agricole[13]. Dans la période récente ces chiffres diminuent : 320 en 2021, 330 en 2023. Il y a donc selon les périodes un écart allant de 13 à 53 % entre les données de la CPAM et celle de l’inspection du travail.
À notre connaissance, aucun travail n’a été entrepris pour éclairer cet important différentiel. Plusieurs hypothèses explicatives sont envisagées. La victime a pu être conduite directement par ses collègues chez elle ou à l’hôpital. Il est alors possible que l’inspection du travail n’ait pas été prévenue. L’urgence de soins puis de l’indemnisation prévalent en général dans ces circonstances. De plus, les employeurs sont parfois réticents à déclarer ces événements car ils portent atteinte à leur image et ont, surtout, un impact sur le niveau de leur assurance professionnelle.
Enfin, il faut aussi souligner la fragilisation croissante du service de l’Inspection du travail. Les informations détaillées sur les effectifs ne sont pas faciles d’accès. Les rapports de la Cour des comptes indiquent qu’entre 2015 et 2024, le nombre de fonctionnaires a baissé de 16 % et le nombre de contractuels a cru de 13 %. En 2022, les effectifs de contrôle étaient de 16 741 personnes, ils étaient de 11 7481 en 2021 et 18 250 en 2019, soit à gros traits un inspecteur pour plus de 100 entreprises. Cette diminution des moyens impacte les activités de contrôle. On observe une baisse du nombre d’actions prioritaires menées (travail illégal, chute de chantier), des observations adressées aux employeurs, des procès-verbaux dressés, des enquêtes sur les accidents et des fermetures de chantiers (cf. tableau n°1).
La ministre du travail Astrid Panosyan-Bouvet, auditionnée à l’Assemblée nationale le 6 novembre 2024, a reconnu les insuffisances de l’inspection. Elle a aussi souligné les violences subies par les agents et les difficultés à en recruter. Une campagne de communication « afin de renforcer la prévention des accidents du travail graves et mortels » a été entreprise en octobre 2024[14]. Elle vise à promouvoir les « bonnes pratiques en matière de sécurité du travail » en s’adressant autant aux travailleurs qu’aux employeurs. « En effet, chaque jour en France, plus de 100 travailleurs sont blessés gravement et deux décèdent. Les conséquences de ces accidents sont dévastatrices non seulement pour les travailleurs concernés, mais aussi pour leur famille, leurs collèges et leur employeur. » Il s’agissait d’une campagne multi-média de deux mois. Mais la question des moyens de l’inspection du travail n’est pas abordée. La ministre du gouvernement Barnier n’a pas eu le temps d’évaluer l’impact de cette action gouvernementale. Elle n’a pas été renouvelée dans l’équipe Bayrou.
Tableau n°1 : Évolution des principales activités de l’inspection du travail[15]
Bien que s’agissant d’homicides, ces multiples obstacles aux signalements débouchent sur des pratiques de sanction peu répressives.
L’incertitude des sanctions
Il faut rappeler que les accidents graves et mortels sont des infractions pénales. En ce domaine, la situation est paradoxale. D’un côté on constate une continuité, voire une augmentation des accidents majeurs, mais d’un autre côté on observe une diminution des sanctions pénales. Faute de signalements et de moyens de poursuite, depuis 2000 la sanction des atteintes au droit pénal du travail régresse de façon constante. Le tableau n°2 est révélateur de cette tendance[16]. Seul le nombre de procès-verbaux dressés est en légère augmentation (4720 PV en 2022), mais il est en baisse depuis 2020 par rapport à 2018 et 2019 (respectivement 5001 et 5402 PV dressés).
Cette situation pose, au passage, la question du pouvoir de rétention détenu en pratique par les agents du ministère du Travail vis-à-vis des procès-verbaux. Ce qui est en principe le constat d’une irrégularité sanctionnable est devenu en pratique, une pré-sanction, un moyen de pression sur les entreprises afin de les inciter à régulariser leur situation. Une partie des PV demeure ainsi dans les dossiers des entreprises en tant que menace susceptible d’être exhumée à l’occasion d’une réitération de l’infraction. Cette pratique n’est pas exclusive à l’inspection du travail, elle s’observe dans tous les secteurs où une autorité administrative détient un pouvoir administratif pénal[17].
Le sens de l’acte, simple constat d’une situation irrégulière, est devenu dans la pratique une sanction à deux temps. Tout d’abord la menace d’établir un tel document, ensuite celle de le transmettre au procureur de la République. Cette pratique est contraire à l’article 40 du code de procédure pénale qui fait obligation à tous les détenteurs de l’autorité publique d’informer le parquet des situations infractionnelles dont ils ont connaissance. C’est à ce dernier, et non à l’autorité administrative, d’apprécier « l’opportunité des poursuites ». Mais comme il s’agit d’une obligation dépourvue de sanction, les jeux avec la règle ont proliféré (en matière fiscale et douanière, d’atteinte à l’environnement, à la consommation, etc.). En conséquence, une augmentation du nombre de procès-verbaux n’est pas en elle-même synonyme du renforcement de la répression.
Tous les autres indicateurs de l’activité de l’inspection du travail diminuent en particulier les signalements au parquet qui passent de 1476 en 2020 à 1083 en 2022 soit une baisse de 26, 6 %. La diminution du nombre de condamnations en est la conséquence directe. Dans tous les domaines évoqués dans cette section, le parquet n’agit jamais à sa seule initiative, mais en fonction des signalements qu’il reçoit.
Tableau n° 2 – Activités de contrôle de l’inspection du travail 2022-2020[18]
Un autre phénomène est étonnant : la dissolution des procès-verbaux transmis, Selon Alexia Eychenne de Mediapart moins du tiers des procès-verbaux transmis à la justice en matière de sécurité « ont donné lieu avec certitude à une réponse pénale. Et dans 65 % des cas, on ignore le débouché des signalements »[19]. Des tableaux de suivi permettent en principe de suivre ces parcours mais ils ont beaucoup de mal à être renseignés. Des variations très importantes existent selon les régions. Un des mieux renseigné est celui de la Haute-Garonne : « Les suites ne sont inconnues que pour 2 % des PV. Le taux de classement sans suite est de 21 % et celui des réponses pénales de 25 %. » En Seine-Saint-Denis, sur 150 PV, un tiers a reçu une réponse pénale, un autre tiers est classé sans suite, et le dernier tiers « se trouve en enquête jusqu’à six ans après la verbalisation ». Mais dans les Alpes-Maritimes et dans le Doubs, les suites inconnues sont respectivement de 98 % et 100 %. Autant dire que le plus grand brouillard règne sur le destin des PV au sein de l’appareil judiciaire. Défaut de coordination administrative et saturation des parquets doivent se combiner pour expliquer cela. Selon un responsable syndical (CNT) « l’absence d’un observatoire national empêche de voir l’ampleur du fiasco »[20].
Le niveau de pénalisation, au sens de condamnation pénale prononcée, connaît depuis les années 2000 un recul très important. Il est de 65 % pour les condamnations prononcées entre 2000 et 2018. Il y en avait 8 422 en 2000 (dont 935 pour défaut d’hygiène et sécurité, DHS) ; 7 689 en 2010 (dont 962 DHS) ; 5 205 en 2016 (dont 526 DHS) ; 4 378 en 2018 (dont 328 DHS)[21]. De plus les peines sont aussi décroissantes durant la même période, les emprisonnements passent de 1 721 à 1 101 (moins 36 %), de même le nombre d’amendes décroit de 44 %, mais leur niveau reste stable (autour de 1 600 €).
Tous ces problèmes ne peuvent pas à l’évidence être résolus par des campagnes de communication telle celle menée par le ministère du Travail fin 2024. Si elle a pu avoir un effet de sensibilisation, elle n’aborde en rien l’ensemble des problèmes structurels relatifs aux accidents mortels du travail, et au-delà aux pratiques de sécurité au travail des entreprises. Cette tolérance à ces transgressions est renforcée par la passivité institutionnelle des organismes de contrôle : des CHSCT à l’institution judiciaire en passant par la CNAM et l’inspection du travail. Les uns et les autres partagent une puissante omerta.
En conclusion, on peut avancer que la sociologie interactionniste montre sa pertinence pour objectiver des situations aussi complexes que les accidents mortels au travail. Les promotions d’inspecteurs ont eu beau se succéder, les profils des recrutés ont eu beau être améliorés, les contextes politiques s’enchaînaient, les contextes se renouveler, l’inertie institutionnelle et le poids des routines professionnelles continuent à imposer leur logique. La mort n’a pas le même poids selon les situations dans lesquelles elle advient.
Dans le cas des accidents du travail, il est assez évident que la logique assurantielle a la primauté sur celle de la sanction de fautes. Tout se passe comme si la nécessaire indemnisation prenait le pas sur la qualification répressive, comme si le versement de rente ou de capital par l’Assurance maladie ôtait son importance à l’établissement des responsabilités. L’effet dissuasif de la peine est ainsi largement minimisé. C’est pourtant la défense de l’ordre public économique qui est en cause.