International

Quand le règlement d’un demi-siècle de conflit kurde se joue en quelques mois (1/2)

Anthropologue

Lancé ce lundi 12 mai, l’appel historique d’Abdullah Öcalan au désarmement et à la dissolution du PKK, organisation qu’il avait cofondée en 1978, semble marquer la fin d’une guérilla de plus de quarante ans contre l’État et l’armée turcs. Pour comprendre l’ampleur de cet événement, il convient de le replacer dans l’histoire de la construction d’une « question kurde », et des nombreuses tentatives avortées de résolution qu’elle n’a cessé de susciter. Premier volet d’un article en deux parties.

Dans cet article, je me propose d’établir un bilan de l’appel d’Abdulah Öcalan au désarmement et à la dissolution du PKK, organisation qu’il avait cofondée en 1978, et qui mène une guérilla contre l’armée et l’État turc depuis plus de 40 ans. Les développements en cours à la suite de cet appel semblent marquer la fin de la lutte armée pour le mouvement kurde en Turquie.

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Afin d’en sonder les chances de succès et d’en saisir les conséquences, il faut tenir compte d’une série de données fondamentales. Certaines concernent la très mouvementée actualité turque et moyen-orientale, d’autres se trouvent dans l’histoire plus ou moins récente du conflit turco-kurde. Je propose ici d’examiner le contenu de cet appel au prisme de plusieurs dimensions. : le tempo spécifique de sa genèse, ce qu‘il révèle de l’évolution du mouvement kurde en Turquie depuis l’échec du précédent processus de paix en 2015, enfin, sa réception, ce qu’il ne dit pas et les perspectives qu’il ouvre. En effet, comme nous le verrons, du fait des dynamiques parallèles parfois paradoxales de la guerre et des pourparlers de paix, qui revêtent systématiquement en Turquie un caractère opaque, un tel appel engendre un effort herméneutique conséquent de ceux à qui il s’adresse, dans le contexte très contraint de la vie publique et politique locale, régionale et internationale.

Pour comprendre le sens et la portée de ce texte, nous nous efforcerons de le replacer dans son contexte historique et géopolitique certes, mais aussi émotionnel en adoptant une perspective anthropologique plus large.

Comment expliquer le timing de cet appel ? Comment Öcalan, placé en isolement absolu depuis plus de trois ans, a-t-il pu finalement faire entendre sa voix ? Que dit-il et en quels termes ? Quelles similitudes et quelles différences entre cet appel au désarmement et les précédents (notamment celui de 2015) ? Comment l’interpréter, quels en sont les enjeux explicites et implicites ? Quelles dynamiques nationales, régio


[1] Öcalan a officiellement ordonné la dissolution du PKK en 2002, dans un contexte international bouleversé par les attentats du 11 septembre et l’invasion de l’Irak. Inscrit sur la liste des organisations terroristes de l’Europe et des États-Unis, la conjoncture et la rhétorique de la lutte antiterroriste rendaient difficile la poursuite de ses activités. Bien que formellement dissous, le PKK a été remplacé par le KADEK, puis par le KONGRA-GEL, qui ont continué de facto ses activités.

[2] Hakan Fidan, alors chef de l’Organisation nationale du renseignement (MIT) et actuellement ministre des Affaires étrangères, après avoir rencontré Abdullah Öcalan, avait engagé des pourparlers prolongés et répétés avec d’autres figures clés de la guérilla et du mouvement kurde en diaspora, telles que Mustafa Karasu, Sabri Ok, et Zübeyir Aydar, membres du KCK (Union des communautés du Kurdistan). Erdoğan, alors Premier ministre, a reconnu plus tard l’avoir personnellement mandaté pour ces missions à İmralı et à Oslo. Murat Karayılan, président du conseil exécutif du KCK, avait déclaré dans une interview en 2011 qu’« une solution était très proche d’être trouvée à Oslo ».

[3] Des informations ultérieures ont révélé que le principal obstacle à ces négociations aurait été le mouvement güleniste et ses cadres bureaucratiques, alors alliés d’Erdoğan mais opposés à la résolution du conflit turco-kurde en raison de son nationalisme turquiste intransigeant.

[4] Les Unités de protection du peuple (en kurde : Yekîneyên Parastina Gel, YPG) ; Les Unités de protection de la femme (en kurde : Yekîneyên Parastina Jin, YPJ).

[5] « Dans ce climat créé par l’appel de M. Devlet Bahçeli, la volonté de M. le Président, j’appelle à déposer les armes » : Devlet Bahçeli est le leader du parti d’extrême-droite (MHP) … et Monsieur le Président n’a pas besoin d’être nommé.

Adnan Çelik

Anthropologue, Maître de conférences à l’EHESS

Notes

[1] Öcalan a officiellement ordonné la dissolution du PKK en 2002, dans un contexte international bouleversé par les attentats du 11 septembre et l’invasion de l’Irak. Inscrit sur la liste des organisations terroristes de l’Europe et des États-Unis, la conjoncture et la rhétorique de la lutte antiterroriste rendaient difficile la poursuite de ses activités. Bien que formellement dissous, le PKK a été remplacé par le KADEK, puis par le KONGRA-GEL, qui ont continué de facto ses activités.

[2] Hakan Fidan, alors chef de l’Organisation nationale du renseignement (MIT) et actuellement ministre des Affaires étrangères, après avoir rencontré Abdullah Öcalan, avait engagé des pourparlers prolongés et répétés avec d’autres figures clés de la guérilla et du mouvement kurde en diaspora, telles que Mustafa Karasu, Sabri Ok, et Zübeyir Aydar, membres du KCK (Union des communautés du Kurdistan). Erdoğan, alors Premier ministre, a reconnu plus tard l’avoir personnellement mandaté pour ces missions à İmralı et à Oslo. Murat Karayılan, président du conseil exécutif du KCK, avait déclaré dans une interview en 2011 qu’« une solution était très proche d’être trouvée à Oslo ».

[3] Des informations ultérieures ont révélé que le principal obstacle à ces négociations aurait été le mouvement güleniste et ses cadres bureaucratiques, alors alliés d’Erdoğan mais opposés à la résolution du conflit turco-kurde en raison de son nationalisme turquiste intransigeant.

[4] Les Unités de protection du peuple (en kurde : Yekîneyên Parastina Gel, YPG) ; Les Unités de protection de la femme (en kurde : Yekîneyên Parastina Jin, YPJ).

[5] « Dans ce climat créé par l’appel de M. Devlet Bahçeli, la volonté de M. le Président, j’appelle à déposer les armes » : Devlet Bahçeli est le leader du parti d’extrême-droite (MHP) … et Monsieur le Président n’a pas besoin d’être nommé.