International

Quand le règlement d’un demi-siècle de conflit kurde se joue en quelques mois (2/2)

Anthropologue

L’appel historique d’Abdullah Öcalan à la dissolution du PKK ouvre la voie à de nouvelles perspectives pour le mouvement kurde mais soulève évidemment de nombreuses interrogations. L’analyse approfondie de l’appel ne peut se passer de la prise en compte d’un contexte géopolitique régional et international incandescent, que cet événement pourrait contribuer à bouleverser un peu plus. Second volet d’un article en deux parties.

Après avoir traité de la genèse de l’appel au dépôt des armes à la dissolution lancé le 27 février par Abdullah Öcalan, leader historique du PKK emprisonné depuis 1999 dans la prison turque d’Imralı, dans le contexte large des échecs répétés des précédentes tentatives de résolution politique et des évolutions des dix dernières années pour le mouvement kurde, le deuxième volet de cet article s’attarde sur l’exégèse, l’herméneutique, la réception et les suites immédiates de l’appel.

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En effet, plusieurs aspects de celui-ci, avant d’aboutir en moins de deux mois à l’annonce officielle d’autodissolution du PKK, ont suscité des émotions mais aussi, par leur caractère radical, évasif, ambigu ou paradoxal, des interprétations contradictoires. Je vais m’arrêter en particulier sur trois d’entre elles.

Parmi les acteurs kurdes, le passage le plus discuté et commenté est sans conteste celui dans lequel Öcalan condamne toute forme de revendication statutaire ou identitaire. « L’État-nation séparé, la fédération, l’autonomie administrative et les solutions culturalistes » sont qualifiés de « résultat nécessaire d’une dérive nationaliste extrême » inaptes à « répondre à la sociologie historique de la société ». Les acteurs kurdes nationalistes (une nébuleuse de groupuscules qui étaient déjà critiques du tournant politique opéré par le PKK depuis l’abandon officiel de l’objectif « séparatiste » de lutte pour l’indépendance nationale du Kurdistan au début de la décennie 2000) y ont vu la confirmation que le leader historique avait trahi la cause kurde, ou même qu’il était en fait « un agent de l’État turc ». Parmi les membres du mouvement kurde, c’est la phrase qui a été le plus douloureusement reçue, car elle semble rejeter au même titre que la création d’un État-nation séparé toutes formes plus modérées de reconnaissance d’une identité kurde distincte, et enterrer de facto les perspectives ouvertes à travers la proposition d’autonomie démocratique.

Conscients du contexte


[1] Un exemple récent est la « Conférence sur l’unité kurde et la position commune », qui s’est tenue à Qamishlo en avril sous la coordination des États-Unis et de la France. Lors de cette conférence, les partis politiques proches du PKK ont rencontré pour la première fois le Conseil national kurde (ENKS), contrôlé par le Parti démocratique du Kurdistan (PDK) et, dans une moindre mesure, par la Turquie, et ont publié une déclaration commune appelant à la réunification des régions kurdes au sein d’un système fédéral en Syrie, à la reconnaissance constitutionnelle de l’identité nationale kurde, à la restitution de la nationalité pour les Kurdes apatrides et à la reconnaissance du kurde comme langue officielle. Le gouvernement provisoire syrien dirigé par le HTS en a condamné le contenu, affirmant qu’il contredisait un accord antérieur entre Shara et Abdi.

[2] Complétée par trois autres lettres adressées aux composantes déterminantes du mouvement pour les mobiliser en faveur de son application : respectivement à Mazloum Abdi, commandant en chef des Forces démocratiques syriennes (FDS), à la direction du PKK à Qandîl, et aux cadres de la diaspora kurde.

[3] En 1997 déjà, Öcalan avait écrit un livre intitulé Tuer l’homme, qui établissait un lien intrinsèque entre l’idéologie patriarcale, la modernité capitaliste, ses guerres et la destruction du vivant qui en résultaient.

Adnan Çelik

Anthropologue, Maître de conférences à l’EHESS

Notes

[1] Un exemple récent est la « Conférence sur l’unité kurde et la position commune », qui s’est tenue à Qamishlo en avril sous la coordination des États-Unis et de la France. Lors de cette conférence, les partis politiques proches du PKK ont rencontré pour la première fois le Conseil national kurde (ENKS), contrôlé par le Parti démocratique du Kurdistan (PDK) et, dans une moindre mesure, par la Turquie, et ont publié une déclaration commune appelant à la réunification des régions kurdes au sein d’un système fédéral en Syrie, à la reconnaissance constitutionnelle de l’identité nationale kurde, à la restitution de la nationalité pour les Kurdes apatrides et à la reconnaissance du kurde comme langue officielle. Le gouvernement provisoire syrien dirigé par le HTS en a condamné le contenu, affirmant qu’il contredisait un accord antérieur entre Shara et Abdi.

[2] Complétée par trois autres lettres adressées aux composantes déterminantes du mouvement pour les mobiliser en faveur de son application : respectivement à Mazloum Abdi, commandant en chef des Forces démocratiques syriennes (FDS), à la direction du PKK à Qandîl, et aux cadres de la diaspora kurde.

[3] En 1997 déjà, Öcalan avait écrit un livre intitulé Tuer l’homme, qui établissait un lien intrinsèque entre l’idéologie patriarcale, la modernité capitaliste, ses guerres et la destruction du vivant qui en résultaient.