L’impossible possibilité de la fédération européenne : hier, aujourd’hui, demain (2/2)
J’en arrive alors, bien tard et de ce fait bien incomplètement, à la question de la fédération, c’est-à-dire aux usages et aux alternatives que recouvre ce terme pour nous aujourd’hui. Je prendrai pour point de départ une proposition récemment formulée par le célèbre historien britannique Timothy Garton Ash (europhile convaincu) qui, comme plusieurs d’entre nous sans doute, m’a à la fois frappé et laissé perplexe.

Soulevant un problème incontournable, elle en propose en même temps une solution qui semble plutôt reproduire la difficulté. Décrivant en juillet 2023 dans Le Grand Continent la renaissance du projet impérial russe et son extension possible à des régions entières de l’Europe orientale, tout en admettant sans détour que cette renaissance était pour une part la réponse à ce qu’il appelait « l’élargissement de l’Occident géopolitique » après l’effondrement de l’URSS, dont faisaient partie les expansions simultanées ou décalées de l’Union européenne et de l’OTAN, il expliquait que l’Union européenne ne pourrait s’en défendre qu’en acquérant elle-même une dimension impériale, c’est-à-dire armée ou militarisée, et centralisée au point de vue de sa capacité de décision, bien que « sans hégémonie » entre ses nations ou nationalités constituantes (comme c’était le cas dans les empires traditionnels) ni restriction autoritariste de sa démocratie interne. D’où la référence à cet « empire libéral » qu’auraient incarné historiquement les États-Unis d’Amérique, et le recours à des formules oxymoriques comme « empire post-impérial » ou « empire anti-impérial ». En somme dans le monde des empires (et des impérialismes), ne peuvent subsister que des empires, mais il faudrait que l’Europe en incarne la version la plus inoffensive.
Ce paradoxe ne m’a pas paru tenable, mais je me suis souvenu alors d’un remarquable développement de Raymond Aron, datant maintenant d’il y a plus de 60 ans, dans la section finale de son livre de 1962, Paix et guerre entre les nations,