Politique

Les récidivistes

Historien

Agiter le chiffon rouge de la montée du nazisme reste une vaine superstition si l’on persiste dans les erreurs historiques – faire porter la responsabilité sur les classes populaires et le suffrage universel. Le parallèle avec aujourd’hui est à situer du côté d’une oligarchie soucieuse de barrer la route à la gauche, y compris sociale-démocrate, et qui ne tient plus compte du résultat des législatives. Il n’y a pas de déterminisme à la montée des fascismes : c’est le résultat d’un choix.

La référence aux « années 30 », au nazisme et à la seconde guerre mondiale a habité les sociétés occidentales et leurs cultures politiques depuis 1945. À l’Ouest, il s’agissait de fustiger le stalinisme, un temps allié à l’Allemagne nazie (23 août 1939- 22 juin 1941). À l’Est, on pointait l’absence de dénazification et le maintien des cadres et structures du nazisme, en RFA comme partout dans le « monde libre », un phénomène amplement étudié depuis.

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Dans l’agonistique politique, les signifiants issus des années 30 (« staliniens », « fascistes »…) fusaient, notamment lorsqu’une partie des générations d’après-guerre, dites du « baby-boom », entra en contestation dans la seconde moitié des années 1960 : depuis juin 1967, les étudiants allemands condamnaient « l’État fasciste » de RFA et dénonçaient les continuités de carrières et la perdurance de mentalités autoritaires, tandis que, en France, on rejouait la Résistance face aux « CRS=SS ».

Rien d’étonnant à ce phénomène d’hystérèse mémorielle, de persistance rétinienne de ces actualités en noir et blanc dont, pour exalter les résistances nationales, les télévisions se saisissaient, notamment autour de 1964 en France, pour le vingtième anniversaire de la Libération et la panthéonisation de Jean Moulin, grand moment de relégitimation charismatique d’un gaullisme qui, six ans auparavant, s’était imposé par un coup d’État contre la IVe République.

À partir de 1973, date du premier « choc pétrolier », qui a surenchéri l’énergie fossile dont s’abreuvait la croissance occidentale et provoqué un trend récessif dont personne n’est sorti cinq décennies plus tard, la référence aux « années 30 » est devenue un marronnier de presse et un rituel paresseux, sur les couvertures des magazines comme dans les programmations éditoriales. À Bonn, capitale de la RFA, on dissertait sur la « situation de Weimar » (Weimarer Verhältnisse), en rappelant la consécution fatale qui liait la récession, la crise sociale, la crise politique


[1] Pierre Serna (dir.), Zeev Sternhell contre les fascismes, Gallimard, 2025.

[2] James Whitman, Le Modèle américain d’Hitler, Armand Colin, 2018.

[3] Christian Gerlach, Sur la conférence de Wannsee. De la décision d’exterminer les Juifs d’Europe, Liana Lévi, 1999.

[4] Isabelle von Bültzingslöwen L’Hécatombe des fous, Flammarion, 2007, p. 328-329.

Johann Chapoutot

Historien, professeur d'histoire contemporaine à l'Université Paris-Sorbonne

Notes

[1] Pierre Serna (dir.), Zeev Sternhell contre les fascismes, Gallimard, 2025.

[2] James Whitman, Le Modèle américain d’Hitler, Armand Colin, 2018.

[3] Christian Gerlach, Sur la conférence de Wannsee. De la décision d’exterminer les Juifs d’Europe, Liana Lévi, 1999.

[4] Isabelle von Bültzingslöwen L’Hécatombe des fous, Flammarion, 2007, p. 328-329.