Société

Ne plus soigner : une tendance actuelle

Philosophe

Derrière les discours d’efficience, d’autonomie et de prévention, un glissement insidieux s’opère : celui d’une médecine qui renonce à soigner. Aux États-Unis comme en France, le soin devient conditionnel, réservé aux existences jugées « optimisables ». En s’appuyant sur le cas du programme MAHA, les dérives du One Health, le concept d’« abandon extractif » et l’émergence d’un « eugénisme doux », cet article analyse les ressorts politiques et idéologiques d’un renoncement systémique au soin.

Et si la médecine contemporaine, loin de ses promesses de progrès, tendait désormais vers une stratégie assumée de non-soin ? Cette hypothèse, encore largement impensée, commence pourtant à se matérialiser sous nos yeux. Et ce, pas uniquement comme une conséquence malheureuse de restrictions budgétaires[1] ou d’une désorganisation, mais comme une orientation active, un projet politique porté à bas bruit par des coalitions hétérogènes de responsables politiques, de start-up biotechnologiques, d’experts en gestion des risques, et parfois même de professionnels de santé.

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Aux États-Unis, cette hypothèse se cristallise au travers du programme MAHA – Make America Healthy Again – dont l’ambition n’est plus de soigner, mais d’éviter les coûts liés au soin. Comme le formule explicitement Derek Beres, fin observateur de ces enjeux et co-animateur de l’excellent podcast Conspirituality, le but de MAHA « n’est pas la santé, c’est l’évitement ». En France, la récente loi sur le droit à mourir, en apparence progressiste, a été critiquée par des collectifs antivalidistes comme une manière d’acter l’impossibilité de vivre longtemps avec certains handicaps ou maladies chroniques.

Ce tournant ne se donne pas toujours pour ce qu’il est. Il s’abrite derrière les mots d’efficacité, d’autonomie, de prévention, voire de soutenabilité. Il s’appuie sur des cadres comme le paradigme One Health, censé penser la santé de manière systémique à l’échelle des écosystèmes mais qui, en pratique, contribue à diluer les responsabilités et à rendre invisibles les enjeux de justice sociale. Il prospère sur les ruines de la médecine publique, sur la fatigue des professionnels du soin, sur l’individualisation croissante des parcours de santé.

Cette dynamique ne relève pas seulement de l’austérité ou de la négligence. Elle est renforcée, et parfois initiée, par des acteurs du secteur privé. Des entreprises comme Function Health, qui prétendent offrir une médecine personnalisée basée sur des tests


[1] Bien que celle-ci demeure. L’annonce de possibles restriction à venir sur l’accompagnements des malades chroniques  ayant été anticipée par les associations antivalidistes (au sens large), lors du vote de la récente loi sur la fin de vie, sans que ces alertes ne soient pourtant entendues.

[2] Rapport qui a lui-même fait l’objet d’une controverse en raison de la présence de références scientifiques manifestement inventée ou hallucinée

[3] Pour une analyse de ces positions, voir Qui veut la peau de l’autodéfense sanitaire ? et l’article paru dans la revue Multitudes : Il faut défendre les invulnérables. Lecture critique de ce qu’on s’est laissé dire, à gauche, sur la pandémie de covid.

Alexandre Monnin

Philosophe , Directeur scientifique d’Origens Media Lab et professeur à l'ESC Clermont Business School

Notes

[1] Bien que celle-ci demeure. L’annonce de possibles restriction à venir sur l’accompagnements des malades chroniques  ayant été anticipée par les associations antivalidistes (au sens large), lors du vote de la récente loi sur la fin de vie, sans que ces alertes ne soient pourtant entendues.

[2] Rapport qui a lui-même fait l’objet d’une controverse en raison de la présence de références scientifiques manifestement inventée ou hallucinée

[3] Pour une analyse de ces positions, voir Qui veut la peau de l’autodéfense sanitaire ? et l’article paru dans la revue Multitudes : Il faut défendre les invulnérables. Lecture critique de ce qu’on s’est laissé dire, à gauche, sur la pandémie de covid.