Numérique

Le renouveau de la technocritique (1/2) : les moments de la critique

Sociologue

Du sabotage de machines au technofascisme dont on accuse certains systèmes, de la critique du nucléaire aux contestations des biotechnologies, de la publication de réflexions philosophiques à l’incendie de voitures Tesla : l’histoire est parsemée de moments technocritiques. Nous en vivons un actuellement.

Fréquentes sont les critiques des technologies de l’intelligence artificielle, du stockage de carbone, ou des nouvelles techniques génomiques. Familières sont les discussions sur les caractéristiques et les effets néfastes des smartphones. La critique des technologies est en vogue. Si cette technocritique n’est pas un phénomène nouveau – nous y reviendrons – force est de constater que les controverses et les contestations autour des technologies sont particulièrement nombreuses et intenses à l’heure actuelle.

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À l’aune de ces controverses, l’argumentation classique selon laquelle « ce n’est pas la technologie en soi qui pose problème, mais l’usage qu’on en fait » est devenue plus difficilement tenable. Le smartphone illustre bien les limites de résumer la question à un problème d’utilisation et de « temps d’écran ». Qu’il s’agisse d’effets indésirables sur l’environnement, la santé, la cognition, la sédentarité, le sommeil, mais aussi du manque de transparence de la part des constructeurs, de la présence de nombreux métaux rares, et des conditions discutables de fabrication dans les usines : le smartphone est un objet technique truffé d’enjeux psychologiques, géopolitiques et écologiques. C’est non seulement devant l’écran mais aussi sous l’écran que le smartphone pose question.

Le problème du techno-solutionnisme

Même dans les écoles d’ingénieur – traditionnellement un sanctuaire du techno-solutionnisme – la critique des technologies se fait plus sonore. On l’entend notamment dans les discours critiques face à l’urgence climatique prononcés par de jeunes diplômés aux cérémonies de remises de diplôme, qui depuis 2022 ont un fort retentissement médiatique. Cette critique s’exprime aussi à plus bas bruit, comme dans l’émergence de formations aux low-tech, ou « basses technologies », depuis 2021[1]. Parmi les quelque deux cents écoles d’ingénieur qui existent en France, une bonne vingtaine propose des cours sur le sujet. Ces formations visent à inculquer aux é


[1] Morgan Meyer, J. Calage, « Former aux low tech en école d’ingénieur : mettre la main à la pâte pour penser l’écologie », in Christelle Didier et al (dir.) Ingénieur·es et écologie, Paris : Presses des Mines (à paraître).

[2] Henrik Skaug Sætra, Evan Selinger, « Technological Remedies for Social Problems: Defining and Demarcating Techno-Fixes and Techno-Solutionism », Science and Engineering Ethics, 30(6), 1-17, 2024.

[3] Andrew Feenberg, « Marcuse or Habermas: Two critiques of technology », Inquiry, 39(1), 45-70, 1996

[4] Marcello Vitali-Rosati, op. cit., page 146. Il a été observé que lors d’interactions entre humains et robots, les bugs peuvent être perçus comme des moments de « vérité » de la part des utilisateurs, des moments lors desquels le robot semble plus autonome et, en quelque sorte, plus « libéré » que quand il fonctionne normalement (observations réalisées par l’anthropologue Maria Viola Zinna dans le cadre du projet « Réespiration » ).

[5] Dan McQuillan, Resisting AI: An anti-fascist approach to artificial intelligence. Policy Press, 2022

[6] Voir notamment Steven Edward Jones, Against technology: From the Luddites to neo-Luddism, London : Routledge, 2006 et Katrina Navickas « The search for ‘General Ludd’: the mythology of Luddism », Social History, 30(3), 281-295, 2005.

[7] Johan Schot « The contested rise of a modernist technology politics », in Thomas Misa, Philip Brey and Andrew Feenberg (eds.) Modernity and technology, Cambridge: MIT Press, p. 260, 2003.

[8] Voir les travaux de l’historien Edward Thompson.

[9] Steven Edward Jones, Against technology: From the Luddites to neo-Luddism, London : Routledge, 2006.

[10] Brian Merchant, Blood in the machine: The origins of the rebellion against big tech, Little, Brown and Company, 2023

[11] Le CLODO parle, Terminal 19/84, 16, pp. 3-5, 1983.

[12] Selon une analyse récente, ce manifeste – qui reprend des idées du philosophe Jacques Ellul, du zoologiste Desmond Morris et du psychologue Martin Seligman

Morgan Meyer

Sociologue, Directeur de recherche au CNRS

Notes

[1] Morgan Meyer, J. Calage, « Former aux low tech en école d’ingénieur : mettre la main à la pâte pour penser l’écologie », in Christelle Didier et al (dir.) Ingénieur·es et écologie, Paris : Presses des Mines (à paraître).

[2] Henrik Skaug Sætra, Evan Selinger, « Technological Remedies for Social Problems: Defining and Demarcating Techno-Fixes and Techno-Solutionism », Science and Engineering Ethics, 30(6), 1-17, 2024.

[3] Andrew Feenberg, « Marcuse or Habermas: Two critiques of technology », Inquiry, 39(1), 45-70, 1996

[4] Marcello Vitali-Rosati, op. cit., page 146. Il a été observé que lors d’interactions entre humains et robots, les bugs peuvent être perçus comme des moments de « vérité » de la part des utilisateurs, des moments lors desquels le robot semble plus autonome et, en quelque sorte, plus « libéré » que quand il fonctionne normalement (observations réalisées par l’anthropologue Maria Viola Zinna dans le cadre du projet « Réespiration » ).

[5] Dan McQuillan, Resisting AI: An anti-fascist approach to artificial intelligence. Policy Press, 2022

[6] Voir notamment Steven Edward Jones, Against technology: From the Luddites to neo-Luddism, London : Routledge, 2006 et Katrina Navickas « The search for ‘General Ludd’: the mythology of Luddism », Social History, 30(3), 281-295, 2005.

[7] Johan Schot « The contested rise of a modernist technology politics », in Thomas Misa, Philip Brey and Andrew Feenberg (eds.) Modernity and technology, Cambridge: MIT Press, p. 260, 2003.

[8] Voir les travaux de l’historien Edward Thompson.

[9] Steven Edward Jones, Against technology: From the Luddites to neo-Luddism, London : Routledge, 2006.

[10] Brian Merchant, Blood in the machine: The origins of the rebellion against big tech, Little, Brown and Company, 2023

[11] Le CLODO parle, Terminal 19/84, 16, pp. 3-5, 1983.

[12] Selon une analyse récente, ce manifeste – qui reprend des idées du philosophe Jacques Ellul, du zoologiste Desmond Morris et du psychologue Martin Seligman