Numérique

Le renouveau de la technocritique (2/2) : les formes de la critique

Sociologue

Du sabotage de machines au technofascisme dont on accuse certains systèmes, de la critique du nucléaire aux contestations des biotechnologies, de la publication de réflexions philosophiques à l’incendie de voitures Tesla : la technocritique ne forme pas un bloc monolithique, la technologie étant critiquée pour différentes raisons et de multiples manières.

Première scène. Des voitures Tesla brûlent. Scène qui se reproduira en mars 2024 à Grünheide (Allemagne), en mars 2025 à Toulouse, en avril 2025 à Rome. Des activistes ont mis le feu à des usines de la marque, causant d’importants dégâts matériels.

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Les photos de ces scènes sont spectaculaires : une voiture qui brûle ou sa carcasse calcinée sont des images parlantes, fortes, surprenantes. Dans leurs revendications, les activistes accusent le PDG de Tesla d’être un « technofasciste ». Ils reprochent à Tesla d’être un « projet fasciste, patriarcal, écocidaire et colonialiste », une « attaque technologique totalitaire contre la société ». Le principal intéressé riposte en qualifiant ces actions d’« éco-terroristes ». Des enquêtes policières sont en cours.

Deuxième scène. L’été 2007, dans un quartier huppé de Stockholm, un groupe de jeunes mène une action inédite. Ils s’arrêtent près d’un SUV, dévissent le capuchon de la valve d’un pneu, y insèrent un haricot, et revissent la valve. Puis, avant de repartir, ils déposent un tract sur le pare-brise du véhicule qui critique les impacts écologiques des SUV et qui explique : « Nous avons dégonflé un ou plusieurs pneus de votre SUV. Ne le prenez pas pour vous. C’est votre SUV qu’on n’aime pas » [1]. Finalement, les pneus de soixante SUV sont dégonflés cette nuit-là. Quinze ans plus tard, le mouvement des « dégonfleurs » de SUV voit le jour. Des actions ont lieu dans une vingtaine de pays, comme l’Angleterre, les États-Unis, l’Allemagne, la Nouvelle Zélande, l’Australie, ou la Suisse. Les photos publiées par les médias montrent des dégonfleurs de dos, en pleine action, ou un bras en train de manipuler un pneu pendant la nuit, ou encore un gros plan sur un pneu dégonflé, le lendemain de l’action [2]. Parmi les actions menées, citons l’opération de dégonflage en « hommage à Paul Varry » – un cycliste renversé par un SUV à Paris – qui s’en est prise à 65 SUV garés dans les rues de Toulouse.

Brûler ou saboter des voitures


[1] Malm, A (2020) Comment saboter un pipeline?, Paris, La fabrique, p. 100

[2] Sur la photo publiée dans Le Monde du 24 octobre 2024, par exemple, la partie gauche de l’image montre un SUV gris et deux mains en train de manipuler le pneu. La partie droite de l’image est dominée par un arbre qui cache entièrement le corps du dégonfleur et qui contraste – au niveau de la couleur, de la texture et la symbolique – avec la voiture (Soullier, L (2024) ‘Un militant écologiste « dégonfleur » de pneus de SUV condamné, Le Monde, 24 octobre 2024).

[3] Meyer, M (2017) “Participating means accepting”: debating and contesting synthetic biology. New Genetics and Society, 36(2), 118-136

[4] Lettre des « chimpanzés du futur » du 25 avril 2013.

[5] ETC Group (2007) Extreme Genetic Engineering: An Introduction to Synthetic Biology, Ottawa: ETC Group.

[6] Friends of the Earth, CTA et ETC group (2012) « Les principes à appliquer pour la surveillance de la Biologie de synthèse »

[7] Halperin, B A et Rosner, D K (2025) ‘AI is Soulless’: Hollywood Film Workers Strike and Emerging Perceptions of Generative Cinema, ACM Transactions on Computer-Human Interaction

[8] Voir notamment Fourmentraux, J P (2020) AntiDATA, la désobéissance numérique. Art et hacktivisme technocritique, Les Presses du Réel et Fourmentraux, J P (2015) Net art: Autoproduction artistique et critique numérique. Les Enjeux de l’Information et de la Communication, (16/3B), 57-68

[9] Notons que cette littérature est publiée chez différents éditeurs militants, d’inspiration libertaire ou décroissante (comme L’Échappée, La Lenteur, L’Encyclopédie des nuisances, Parangon, ou encore Le Pas de côté) mais aussi chez des éditeurs plus « classiques ».

[10] Le terme « manifeste » ne rend pas tout à fait justice au contenu, car le livre est à la fois un essai, un plaidoyer, un appel à la lutte, un dossier à charge, une analyse fouillée – étayée par de nombreuses références à des travaux académiques – et une proposition politique (voir

Morgan Meyer

Sociologue, Directeur de recherche au CNRS

Notes

[1] Malm, A (2020) Comment saboter un pipeline?, Paris, La fabrique, p. 100

[2] Sur la photo publiée dans Le Monde du 24 octobre 2024, par exemple, la partie gauche de l’image montre un SUV gris et deux mains en train de manipuler le pneu. La partie droite de l’image est dominée par un arbre qui cache entièrement le corps du dégonfleur et qui contraste – au niveau de la couleur, de la texture et la symbolique – avec la voiture (Soullier, L (2024) ‘Un militant écologiste « dégonfleur » de pneus de SUV condamné, Le Monde, 24 octobre 2024).

[3] Meyer, M (2017) “Participating means accepting”: debating and contesting synthetic biology. New Genetics and Society, 36(2), 118-136

[4] Lettre des « chimpanzés du futur » du 25 avril 2013.

[5] ETC Group (2007) Extreme Genetic Engineering: An Introduction to Synthetic Biology, Ottawa: ETC Group.

[6] Friends of the Earth, CTA et ETC group (2012) « Les principes à appliquer pour la surveillance de la Biologie de synthèse »

[7] Halperin, B A et Rosner, D K (2025) ‘AI is Soulless’: Hollywood Film Workers Strike and Emerging Perceptions of Generative Cinema, ACM Transactions on Computer-Human Interaction

[8] Voir notamment Fourmentraux, J P (2020) AntiDATA, la désobéissance numérique. Art et hacktivisme technocritique, Les Presses du Réel et Fourmentraux, J P (2015) Net art: Autoproduction artistique et critique numérique. Les Enjeux de l’Information et de la Communication, (16/3B), 57-68

[9] Notons que cette littérature est publiée chez différents éditeurs militants, d’inspiration libertaire ou décroissante (comme L’Échappée, La Lenteur, L’Encyclopédie des nuisances, Parangon, ou encore Le Pas de côté) mais aussi chez des éditeurs plus « classiques ».

[10] Le terme « manifeste » ne rend pas tout à fait justice au contenu, car le livre est à la fois un essai, un plaidoyer, un appel à la lutte, un dossier à charge, une analyse fouillée – étayée par de nombreuses références à des travaux académiques – et une proposition politique (voir