International

Pourquoi la guerre ? (1/2)

Politiste

Si les guerres qui éclatent et qui perdurent dans notre monde contemporain ont leurs irréductibles spécificités, elles s’inscrivent néanmoins dans une continuité saisissante avec celles du XIXe et du XXe siècles. Elles sont redevables du passage des empires aux États-nations et, à cet égard, d’une certaine conception culturaliste du monde et de la propriété territoriale.

Les nécessités de l’actualité internationale et l’aimable invitation du festival pacifiste Cahors Mundi, les 27-29 juin, m’ont amené, ces dernières semaines, à réfléchir à deux vieux objets des sciences sociales du politique : ceux de la guerre et de la paix, prétextes de tant d’ouvrages ou d’articles et de sujets d’examens universitaires – questions bateaux, pour ne pas dire galères.

publicité

Car, d’emblée, un malaise saisit la plume (ou le clavier). Que dire de décent, est-il même imaginable de le faire, à propos de telles expériences historiques et politiques de la mort, de la souffrance, de la destruction, du deuil, quels que soient le courage, l’abnégation, l’enthousiasme, la solidarité ou l’idéalisme dont elles sont le creuset ? Que pouvoir dire du 7 octobre 2023, de Gaza, de l’Ukraine, ou d’autres conflits tout aussi cruels bien que moins couverts par les médias, tels que ceux du Soudan ou de la République démocratique du Congo ? Que pouvoir en dire, qui ne soit déplacé ou creux ? Il y a, dans la guerre et dans la paix, comme dans la foi ou dans le plaisir sexuel et beaucoup d’autres expériences de la vie, une irréductibilité impénétrable dont les sciences sociales doivent prendre acte alors même que celle-ci fait partie du problème exigeant connaissance, explication, éclaircissement, interprétation.

Aucune des deux notions de la guerre et de la paix ne va d’ailleurs de soi, nonobstant le sens commun. D’abord parce qu’il est des situations d’entre-guerres, pour reprendre l’heureuse formule de Marielle Debos à propos du Tchad[1]. Ces dernières tendent même à se multiplier, y compris en Europe. Le Kosovo et aussi, sans doute, la Bosnie malgré les accords de Dayton (1996), ou le Donbass (de 2014 à 2022), peut-être l’Ulster en offrent des cas de figure.

Ensuite, parce que la guerre et la paix font toujours l’objet d’une énonciation plurielle de la part de leurs protagonistes, selon leur âge, leur sexe, leur statut social, leurs origines régionales, nationales ou


[1] Mariele Debos, Le Métier des armes au Tchad. Le gouvernement de l’entre-guerres, Paris, Karthala, 2013.

[2] Jean-François Bayart, L’Energie de l’Etat. Pour une sociologie historique et comparée du politique, Paris, La Découverte, 2022, chapitres 2 et 3.

[3] Béatrice Hibou, Mohamed Tozy, Tisser le temps politique au Maroc. Imaginaire de l’Etat à l’âge néolibéral, Paris, Karthala, 2020.

[4] Xavier Bougarel, Survivre aux empires. Islam, identité nationale et allégeances politiques en Bosnie-Herzégovine, Paris, Karthala, 2015.

[5] Jean-François Bayart, L’Energie de l’Etat, op. cit., pp. 13-20.

[6] Nikos Sigalas, La Première Guerre mondiale etla genèse de la question pontique. Une histoire connectée de la violence en Anatolie au début du XXe siècle, Paris, EHESS, 2023 (à paraître aux éditions Karthala, en 2026).

[7] Jean-François Bayart, Ibrahima Poudiougou, Giovanni Zanoletti, L’Etat de distorsion en Afrique de

 l’Ouest. Des empires à la nation, Paris, Karthala, 2019

[8] Philippe Chanson, Yvan Droz, Yonatan N. Gez, Edio Soares, dir., Mobilité religieuse. Retours croisés des Afriques aux Amériques, Paris, Karthala, 2014

[9] Ibrahima Poudiougou, Appropriation foncière, migrations et conflits armés en pays Dogon (Mali), Universita di Torino, African Studies Centre (Leiden), Universiteit Leiden, 2024, multigr. ; Giovanni Zanoletti, Le Djihad de la vache. Pastoralisme et formation de l’Etat au Mali, Paris, Karthala, 2023.

[10] Françoise Mengin, Fragments d’une guerre inachevée. Les entrepreneurs taïwanais et la partition de la Chine, Paris, Karthala, 2013 ; Alexandre Gandil, Kinmen, un archipel entre Taïwan et la Chine, Paris, Karthala, 2024.

[11] Jean-François Bayart, L’Illusion identitaire, Paris, Fayard, 2018 (1996)

Jean-François Bayart

Politiste, Professeur à l'IHEID de Genève titulaire de la chaire Yves Oltramare "Religion et politique dans le monde contemporain"

Notes

[1] Mariele Debos, Le Métier des armes au Tchad. Le gouvernement de l’entre-guerres, Paris, Karthala, 2013.

[2] Jean-François Bayart, L’Energie de l’Etat. Pour une sociologie historique et comparée du politique, Paris, La Découverte, 2022, chapitres 2 et 3.

[3] Béatrice Hibou, Mohamed Tozy, Tisser le temps politique au Maroc. Imaginaire de l’Etat à l’âge néolibéral, Paris, Karthala, 2020.

[4] Xavier Bougarel, Survivre aux empires. Islam, identité nationale et allégeances politiques en Bosnie-Herzégovine, Paris, Karthala, 2015.

[5] Jean-François Bayart, L’Energie de l’Etat, op. cit., pp. 13-20.

[6] Nikos Sigalas, La Première Guerre mondiale etla genèse de la question pontique. Une histoire connectée de la violence en Anatolie au début du XXe siècle, Paris, EHESS, 2023 (à paraître aux éditions Karthala, en 2026).

[7] Jean-François Bayart, Ibrahima Poudiougou, Giovanni Zanoletti, L’Etat de distorsion en Afrique de

 l’Ouest. Des empires à la nation, Paris, Karthala, 2019

[8] Philippe Chanson, Yvan Droz, Yonatan N. Gez, Edio Soares, dir., Mobilité religieuse. Retours croisés des Afriques aux Amériques, Paris, Karthala, 2014

[9] Ibrahima Poudiougou, Appropriation foncière, migrations et conflits armés en pays Dogon (Mali), Universita di Torino, African Studies Centre (Leiden), Universiteit Leiden, 2024, multigr. ; Giovanni Zanoletti, Le Djihad de la vache. Pastoralisme et formation de l’Etat au Mali, Paris, Karthala, 2023.

[10] Françoise Mengin, Fragments d’une guerre inachevée. Les entrepreneurs taïwanais et la partition de la Chine, Paris, Karthala, 2013 ; Alexandre Gandil, Kinmen, un archipel entre Taïwan et la Chine, Paris, Karthala, 2024.

[11] Jean-François Bayart, L’Illusion identitaire, Paris, Fayard, 2018 (1996)