Un nouvel ordre narratif est-il en train de s’imposer ?
Discourir, parler, raconter, écrire n’est jamais l’exercice d’une liberté fondatrice, mais un acte soumis à des contraintes et des protocoles. Langages prohibés, discours légitimes, on a là un double mécanisme d’exclusion et de légitimation chargés d’ordonner la circulation des discours. En 1971, L’ordre du discours de Michel Foucault dessinait une cartographie des échanges discursifs structurée autour de quatre instances de légitimation : les rituels, les sociétés de discours, les groupes doctrinaux, les modes d’appropriation.

Les rituels mettent en scène les discours autorisés. Les sociétés imposent des normes de discours. Les doctrines orientent les contenus. Les groupes sociaux en déterminent les usages et les effets. L’expert veille sur le récit savant, le journaliste sur les informations, l’écrivain sur la fiction, l’avocat sur le témoignage. L’économie des discours ne se contente pas de réguler les échanges. Elle façonne des sujets de discours, ajustés à leur rang, et distribue à chacun les récits qu’il peut, ou doit, porter.
Foucault parlait depuis un monde où l’accès à la parole publique était règlementé, filtré par des institutions reconnues – universités, médias, éditeurs, académies – qui imposaient leurs règles explicites à la prolifération des discours. C’était un monde dans lequel l’autorité de la parole s’adossait à la légitimité de celui qui la portait, et la liberté d’expression s’exerçait à travers un système de contraintes, de régulation et d’interdits.
La révolution numérique a bouleversé la carte du discours telle que l’avait tracée Michel Foucault. Elle a disloqué les anciennes chaînes de légitimation, fragmenté les cadres d’énonciation, et démultiplié les scènes du récit. Le tournant numérique des années 2000 et les progrès de l’intelligence artificielle ont tout emporté, régulations, rituels, ordres professionnels, appropriations sociales reconnues. Au droit s’est substitué l’usage. A l’auteur, la foule anonyme. A la règle, la dérég