Médias

De Fox News à Cnews, une conception libertarienne de la liberté d’expression

Juriste

La création d’une chaîne telle que Fox News a été rendue possible aux États-Unis par la fin de la Fairness Doctrine, un ensemble de règles équivalentes à notre principe de pluralisme. La création consécutive de CNews en France, alors que notre système juridique interdit les chaînes non pluralistes, montre que les systèmes juridiques peuvent aujourd’hui s’influencer les uns les autres même sans transposition normative.

En 2012, Vincent Bolloré entre au capital de Vivendi grâce à un échange d’actions. Vivendi, ancienne Compagnie Générale des Eaux, est un groupe français spécialisé dans les médias qui détient la chaîne Canal+. La chaîne est connue pour sa liberté de ton, matérialisée notamment par l’émission satirique les « Guignols de l’info ».

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Au départ seulement actionnaire minoritaire, Vincent Bolloré va progressivement racheter des actions sur le marché pour devenir l’actionnaire principal et donc président du Conseil de surveillance. Il transforme i-Télé, une des chaînes historiques d’information en continu, en CNews. Cette transformation emporte un changement radical de ligne éditoriale, comme le redoutaient les journalistes d’i-Télé, qui firent grève pendant 21 jours en 2016 pour s’opposer notamment à la nomination de Jean-Marc Morandini, proche du dirigeant. Progressivement, l’opinion remplace l’information[1] sur la chaîne, alors que les obligations nées notamment de la convention de la chaîne CNews avec le CSA (aujourd’hui ARCOM) restent les mêmes.

Cette transformation n’est pas sans rappeler la création de Fox News aux États-Unis en 1996. En mai 1985, le magnat des affaires australien Rupert Murdoch, déjà détenteur du journal The Sun au Royaume-Uni, annonça sa volonté de développer un nouveau réseau de stations télé indépendantes. Celles-ci devraient agir comme contre-pouvoir vis-à-vis des trois réseaux de chaînes dominants jusqu’alors le paysage audiovisuel états-unien (NBC, ABC et CBS) à qui il reprochait d’être inféodés au pouvoir en place. Cette même année, Murdoch racheta à travers sa société News Corp 50 % de Fox Film Entertainment, la société mère de 20th Century Fox. Fox Film Entertainment racheta ensuite six stations indépendantes faisant partie du réseau Métromédia.

Après avoir démissionné de son poste de président de CNBC, officiellement pour des désaccords sur la structure financière de la chaîne, le journaliste conservateur Roger Ailes fut employé


[1] Voir François Jost, L’Opinion qui ne dit pas son nom, Gallimard, 2024.

[2] Cet épisode est conté dans la série qui lui est dédié, The Loudest Voice.

[3] Whitney v. California, 274 US 357 (1927).

[4] Alexander Meiklejohn, Free speech and its relation to self-government, Harper & Brothers Publishers, 1948.

[5] Ronald Coase, « The Federal Communications Commission », Journal of Law and Economics, 1959.

[6] Sur cette question, et plus généralement sur la façon dont les droits humains sont utilisés pour empêcher la régulation économique des entreprises, voir Adam Wrinkler, We the corporations. How American Businesses Won Their Civil Rights, Liveright, 2018.

[7] La Cour suprême a par exemple invalidé une loi régulant le financement des campagnes électorales en considérant que les entreprises pouvaient « s’exprimer » à travers leur donation, une doctrine qui a été rebaptisée par ses opposants « Money is speech ». Voir Citizens United v. Federal Election Commission, 558 US 310 (2010).

[8] François Jost, « CNews, un exemple de chaîne d’opinion », rapport pour Reporter Sans Frontières, 2022.

[9] François Jost, « CNews, un exemple de chaîne d’opinion ».

[10] Sur ce point, voir Thomas Hochmann, On ne peut plus rien dire. Liberté d’expression : le grand détournement, Anamosa, 2025.

[11] Sur le dialogue des juges, on reverra par exemple au très bon article de Laurence Burgogue-Larsen, « De l’internationalisation du dialogue des juges », dans Le dialogue des juges : Mélanges en l’honneur du président Bruno Genevois, Dalloz-Sirey, 2009, p. 95-130.

[12] Pour des critiques de cette jurisprudence, voir Tim Wu, « The Right to Evade Regulation: How Corporations Hijacked the First Amendment », The New Republic, 2 juin 2013 ; Robert Post, Amanda Shanor, « Adam Smith’s First Amendment », Harvard Law Review Forum, vol 128/165, 2015.

Pauline Trouillard

Juriste, chercheuse post-doctorale au Centre Internet et Société du CNRS, chercheuse affiliée au sein de la Chaire Colibexchercheuse affiliée au sein de la Chaire Colibex et à l’Information Society Project de Yale Law School

Notes

[1] Voir François Jost, L’Opinion qui ne dit pas son nom, Gallimard, 2024.

[2] Cet épisode est conté dans la série qui lui est dédié, The Loudest Voice.

[3] Whitney v. California, 274 US 357 (1927).

[4] Alexander Meiklejohn, Free speech and its relation to self-government, Harper & Brothers Publishers, 1948.

[5] Ronald Coase, « The Federal Communications Commission », Journal of Law and Economics, 1959.

[6] Sur cette question, et plus généralement sur la façon dont les droits humains sont utilisés pour empêcher la régulation économique des entreprises, voir Adam Wrinkler, We the corporations. How American Businesses Won Their Civil Rights, Liveright, 2018.

[7] La Cour suprême a par exemple invalidé une loi régulant le financement des campagnes électorales en considérant que les entreprises pouvaient « s’exprimer » à travers leur donation, une doctrine qui a été rebaptisée par ses opposants « Money is speech ». Voir Citizens United v. Federal Election Commission, 558 US 310 (2010).

[8] François Jost, « CNews, un exemple de chaîne d’opinion », rapport pour Reporter Sans Frontières, 2022.

[9] François Jost, « CNews, un exemple de chaîne d’opinion ».

[10] Sur ce point, voir Thomas Hochmann, On ne peut plus rien dire. Liberté d’expression : le grand détournement, Anamosa, 2025.

[11] Sur le dialogue des juges, on reverra par exemple au très bon article de Laurence Burgogue-Larsen, « De l’internationalisation du dialogue des juges », dans Le dialogue des juges : Mélanges en l’honneur du président Bruno Genevois, Dalloz-Sirey, 2009, p. 95-130.

[12] Pour des critiques de cette jurisprudence, voir Tim Wu, « The Right to Evade Regulation: How Corporations Hijacked the First Amendment », The New Republic, 2 juin 2013 ; Robert Post, Amanda Shanor, « Adam Smith’s First Amendment », Harvard Law Review Forum, vol 128/165, 2015.