Société

À la fin des marchés parisiens

Sociologue

Et si on regardait le marché à l’envers, en commençant par sa fin ? Le glanage alimentaire, pratique rurale ancienne qui perdure aujourd’hui dans les villes, met en lumière des formes de subsistance discrètes. Cette pratique n’est pas anecdotique, elle interroge les inégalités sociales et de genre, autant que les promesses d’une transition écologique.

Si vous le voulez bien, je vous invite à me suivre au marché… ou plutôt à la fin des marchés de plein vent. Le marché se défait mais ne s’éteint pas. Il change de mains et d’acteurs : un épilogue est à l’œuvre. D’autres voix deviennent perceptibles, des gestes rapides s’ébauchent, des silhouettes furtives se dessinent. Celles de femmes, parfois clientes un peu plus tôt. Elles investissent le pavé encombré, se penchent, fouillent vite et bien, récupèrent les fruits oubliés, les légumes fatigués, les herbes fanées. Ce qui a été méprisé par les échanges marchands retrouve soudain une valeur dans leurs sacs.

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À la marge des ventes officielles, une autre économie prend place, discrète mais persistante, et qui perdure au cœur des quartiers populaires de Paris, au-delà des tendances et des chapelles. On appelle ces pratiques, qui peuvent sembler désuètes ou hors du temps, le glanage alimentaire. Elles participent à la fois d’une gestion informelle des rebuts alimentaires et de pratiques populaires de subsistance[1].

Dans l’imaginaire collectif, le glanage renvoie aux moissons des campagnes, à ces femmes penchées dans les champs, immortalisées par Millet. Pourtant, cette manière d’agir traverse l’Histoire bien au-delà de la ruralité. Mentionnée dans la Bible, codifiée par un édit royal de 1554 en France – qui autorise encore aujourd’hui la récupération des restes d’une récolte – cette pratique millénaire a été réinventée dans les marchés parisiens des quartiers populaires. Ici, il ne s’agit plus de grappiller quelques épis après la faucille, mais de sauver de la destruction les restes alimentaires. Les rebuts du marché deviennent alors une ressource, dans une société qui se rêve durable mais où, chaque soir, des tonnes de denrées encore consommables finissent à la benne.

Ma recherche se concentre sur un glanage individuel et autogéré : une activité informelle, discrète, encore peu étudiée par les sciences sociales[2]. Cette enquête s’inscrit dans un champ plus larg


[1] Collectif Rosa Bonheur, La Ville vue d’en bas. Travail et production de l’espace populaire, Éditions Amsterdam, 2019 ; Geneviève Pruvost, La subsistance au quotidien : Conter ce qui compte, La Découverte, 2024.

[2] Jeanne Guien, Isabelle Hajek, Sylvie Ollitrault, « Femmes et lutte contre le gaspillage : un espace d’émancipation ou d’aliénation genrée ? », Écologie & Politique, n° 60, 2020, p. 105-119 ; Martin Manoury,. « Le glanage alimentaire en milieu urbain, ou la constitution de “protections rapprochées” », Tracés, 41(2), 2022, p. 123-143 ; Flaminia Paddeu, « Déchets, mauvaises herbes et plantes sauvages », EchoGéo, n°47, 2019.

[3] Bruno Lautier, Claude de Miras, Alain Morice, L’État et l’informel, L’Harmattan, 1991.

[4] Elisabetta Bucolo, Vincent Lhuillier, « Magasins gratuits : vers la fondation d’un nouvel imaginaire économique », RECMA, vol. 359(1), 2021, p. 64-79.

[5] Mary Douglas, De la souillure. Essai sur les notions de pollution et de tabou, La Découverte, 2005.

[6] Jean Gouhier, Au-delà du déchet, le territoire de qualité : Manuel de rudologie, Presses universitaires de Rouen et du Havre, 2000.

Olivia Mercier

Sociologue, Doctorante en sociologie au Lise (CNRS–Cnam)

Notes

[1] Collectif Rosa Bonheur, La Ville vue d’en bas. Travail et production de l’espace populaire, Éditions Amsterdam, 2019 ; Geneviève Pruvost, La subsistance au quotidien : Conter ce qui compte, La Découverte, 2024.

[2] Jeanne Guien, Isabelle Hajek, Sylvie Ollitrault, « Femmes et lutte contre le gaspillage : un espace d’émancipation ou d’aliénation genrée ? », Écologie & Politique, n° 60, 2020, p. 105-119 ; Martin Manoury,. « Le glanage alimentaire en milieu urbain, ou la constitution de “protections rapprochées” », Tracés, 41(2), 2022, p. 123-143 ; Flaminia Paddeu, « Déchets, mauvaises herbes et plantes sauvages », EchoGéo, n°47, 2019.

[3] Bruno Lautier, Claude de Miras, Alain Morice, L’État et l’informel, L’Harmattan, 1991.

[4] Elisabetta Bucolo, Vincent Lhuillier, « Magasins gratuits : vers la fondation d’un nouvel imaginaire économique », RECMA, vol. 359(1), 2021, p. 64-79.

[5] Mary Douglas, De la souillure. Essai sur les notions de pollution et de tabou, La Découverte, 2005.

[6] Jean Gouhier, Au-delà du déchet, le territoire de qualité : Manuel de rudologie, Presses universitaires de Rouen et du Havre, 2000.