Cinéma

Remettre en scène «La Douleur», fit-il.

Critique

Adapter Duras, c’est adapter une artiste amphibie, entre littérature et cinéma. Pour « La Douleur », Emmanuel Finkiel exploite l’hétérogénéité du matériau textuel, en conserve les ambiguïtés pour faire de cette adaptation un grand film, et de ce film une grande adaptation.

Publié en 1985 chez P.O.L. par Marguerite Duras, La Douleur est d’abord un livre, qui rassemble plusieurs textes hétérogènes : un journal de l’attente et du retour de son mari Robert Antelme, déporté en Allemagne en 1944 (« La Douleur », partie I), ainsi que plusieurs nouvelles ou chroniques de l’Occupation, parmi lesquelles « Monsieur X., dit ici Pierre Rabier » (partie II). Le  « prière d’insérer » du journal avait suscité à l’époque quelque suspicion : racontant la découverte, dans les fameuses « armoires bleues » de Neauphle-le-château, de manuscrits « oubliés », il indique que l’auteur n’aurait pas retouché du tout pour la publication ces textes qu’un travail d’élaboration littéraire aurait en quelque sorte dénaturés. La prise en main du livre préparait donc le lecteur de 1985 à recevoir un témoignage en première personne très chargé historiquement, rangé dans une armoire à l’abri du travail comme à l’abri du temps, et présenté dans la fraîcheur du premier jet par la segmentation journalière de l’attente d’un déporté politique retenu en Allemagne.

Même si le contenu historique du livre estompe un peu cette caractéristique, le film d’Emmanuel Finkiel est cependant une adaptation cinématographique. Toujours discutée, à la sortie des cinémas comme dans les pages critiques des journaux ou des magazines, de cette forme la seule chose qui reste importante à dire est qu’elle propose à n’importe qui une expérience anthropologique tout à fait exclusive. Car l’adaptation cinématographique nous donne accès, concrètement, à l’imaginaire d’autrui au moins de deux façons : c’est d’abord la manière dont un cinéaste a interprété un livre pour en faire des images et des sons, c’est ensuite la manière dont l’environnement du spectateur (la critique, ou bien des amis) a lu le livre en question pour se prononcer sur sa transposition.

En une phrase comme en trois-cents pages, parler d’un film c’est toujours l’inventer, le remettre en scène dans sa totalité.

Mais ne peut-on pas dir


Jean Cléder

Critique, Maître de conférences en littérature générale et comparée à l'Université Rennes 2