Chagall, Lissitzky, Malévitch à Vitebsk – l’avant-garde, et après ?
« Moi, je vis à New York. Je vois les gratte-ciels, ces hauteurs, ces surfaces. Comment, vous, dans la petite ville de Vitebsk et dans les années 1920, avez-vous pu imaginer tout cela qui s’est réalisé depuis ? » Ainsi répond en substance le fils de Lazar Khidekel au journaliste qui lui demandait quelle question il poserait aujourd’hui à son père, architecte proche de Malévitch. Le documentaire est projeté dans le cadre de l’exposition « Chagall, Lissitzky, Malévitch. L’avant-garde russe à Vitebsk, 1918-1922 » et l’échange résume l’interrogation essentielle posée par la manifestation. Que reste-t-il d’une avant-garde ? Comment mesurer son impact ou, dit autrement, comment juger de sa vérité ?
Il est utile de soulever la question car il semblerait que les avant-gardes aient aujourd’hui disparu, soit que l’histoire de l’art avance en s’en passant, soit qu’elles ne servent qu’à alimenter un marché de l’art désormais inféodé aux seuls intérêts de placement et d’investissement et qu’elles n’exercent aucune influence à l’extérieur. Réfléchir sur les avant-gardes amène à évaluer la perte que représente alors leur absence puisqu’elles ont tenu un rôle indéniable dans l’art moderne. Une première vague précédant la Première Guerre mondiale, avec, entre autres, futurisme, orphisme, cubisme, expressionnisme ; une deuxième vague après le conflit, incluant par exemple dadaïsme, surréalisme, suprématisme, constructivisme, de stijl ; une troisième et dernière vague à partir des années 1950 qui recouvrirait expressionnisme abstrait, pop art, art conceptuel, arte povera, art brut, minimalisme, etc. En réalité, ces regroupements hétéroclites ne font qu’accentuer la difficulté à définir précisément l’avant-garde. Est-elle l’accomplissement de la modernité artistique en des incarnations successives ou procède-t-elle d’une logique différente, relevant d’une idéologie à baptiser « avant-gardisme » qu’Adorno accusait d’abandonner la sphère esthétique en rejetant la notion d’œuv