Cinéma

Chris Marker, d’un siècle à l’autre

Journaliste

À l’évidence, Chris Marker a pensé et agi avec les catégories de son temps. Il est pourtant possible de repérer dans ses œuvres d’autres procédures, qui s’inscrivent de plain-pied dans des approches très actuelles, et qui feraient de lui, une fois de plus et à plus d’un titre, un précurseur. Quinze jours avant l’ouverture de la grande exposition qui lui sera consacrée à La Cinémathèque, Jean-Michel Frodon – qui en est l’un des commissaires – souligne pour AOC l’extrême actualité de l’auteur de La Jetée.

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Le 2 mai ouvrira à la Cinémathèque française une grande exposition consacrée à Chris Marker. J’ai le plaisir d’être, aux côtés de Christine Van Assche et de Raymond Bellour, un des commissaires de cette exposition rendue possible par le dépôt à la Cinémathèque des considérables archives laissées par Marker à sa mort, le 29 juillet 2012. La date de l’ouverture n’a évidemment pas été choisie au hasard, elle correspond également au cinquantenaire de Mai 68. Rien de plus légitime pour celui qui fut, entre autres, l’initiateur de Loin du Vietnam et des Groupes Medvedkine, le fondateur des collectifs de production et diffusion militantes SLON et ISKRA, le contributeur actif aux ciné-tracts et à la série de contre-information « On vous parle de », le réalisateur du Fond de l’air est rouge [1]. Et ce, même s’il faut rappeler que cet engagement direct dans les luttes de l’époque par les moyens du cinéma couvre en fait une période plus vaste que la seule année 68 et a fortiori que le mois de mai, de 1967 (Loin du Vietnam, le tournage dans l’usine Rhodiacétha avec Bruno Muel d’À bientôt j’espère qui donnera naissance au premier Groupe Medvedkine) à 1977, date de la première version du Fond de l’air.

Cette période d’intense activité politique s’inscrit dans un cheminement au long cours, tout entier marqué par des formes d’engagement de la part de Marker, qui s’est aussi toujours questionné sur cet engagement, et sur les formes qu’il pouvait prendre. De la résistance, qu’il rejoint en 1942, à sa mort, il aura été sans équivoque dans le camp d’une gauche aspirant à une transformation radicale de la société définie par le capitalisme, tout en interrogeant les dispositifs et les modèles alors disponibles de cette transformation. Cette interrogation, qui traverse son œuvre – une œuvre qui n’est pas uniquement cinématographique mais également littéraire, photographique, vidéographique, musicale, informatique… –, s’est en particulier traduite par l’observation de « systèmes


[1] Loin du Vietnam est un film collectif initié et monté par Marker, auquel ont contribué Jean-Luc Godard, Alain Resnais, Joris Ivens, William Klein, Claude Lelouch, Michèle Ray et des dizaines d’autres gens de cinéma engagés dans le soutien au Vietnam. Les Groupes Medvedkine (d’après le nom du cinéaste soviétique Alexandre Medvedkine auquel Marker consacrera en 1992 Le Tombeau d’Alexandre) sont des collectifs d’ouvriers constitués pour mobiliser le cinéma dans le cadre de leurs luttes. Le fond de l’air est rouge est un film de montage retraçant de manière lucide les espoirs et les impasses des mouvements révolutionnaires des années 1960-70.

[2] Cette liste de pays renvoie aux films Dimanche à Pékin (1956), Lettre de Sibérie (1958), Description d’un combat (1960), Cuba si !  (1961) et La Bataille des 10 millions (1970, également à Cuba) ainsi qu’au livre, texte et photos, Coréennes (Le Seuil, 1959).

[3] Cité dans plusieurs films de Marker, l’ouvrage de Christophe figure en bonne place dans les références majeures pour l’entrée « Voyages » dans Immemory, CD-Rom autobiographique désormais accessible sur le site Gorgomancy.

[4] Début mai, L’Héritage de la chouette deviendra enfin accessible grâce à l’édition par Arte Vidéo, à partir des restaurations réalisées par la Cinémathèque française.

[5] En attendant, on se reportera à l’article « Nom d’un chat ! » consacré par Judith Revault d’Allones et Etienne Sandrin dans le catalogue de l’exposition de la Cinémathèque, coédité par Actes Sud, et au Poplab Guillaume-en-Egypte au Brésil d’octobre 2009 piloté par Agnès de Cayeux, avec Annick Rivoire et à nouveau Etienne Sandrin.

[6] Journal à plusieurs voix, pages 77-78.

[7] « Prologue », in Humains, non-humains. Comment repeupler les sciences sociales, sous la direction de Sophie Oudard et Olivier Thiery. La Découverte, 2011, pp. 255-262.

[8] Il s’agit du philosophe William James. Mais son petit frère, Henry, aurait pu en dire autant – Marker également, d’ailleurs il l’a dit,

Jean-Michel Frodon

Journaliste, Critique de cinéma et professeur associé à Sciences Po

Rayonnages

Cinéma Culture

Notes

[1] Loin du Vietnam est un film collectif initié et monté par Marker, auquel ont contribué Jean-Luc Godard, Alain Resnais, Joris Ivens, William Klein, Claude Lelouch, Michèle Ray et des dizaines d’autres gens de cinéma engagés dans le soutien au Vietnam. Les Groupes Medvedkine (d’après le nom du cinéaste soviétique Alexandre Medvedkine auquel Marker consacrera en 1992 Le Tombeau d’Alexandre) sont des collectifs d’ouvriers constitués pour mobiliser le cinéma dans le cadre de leurs luttes. Le fond de l’air est rouge est un film de montage retraçant de manière lucide les espoirs et les impasses des mouvements révolutionnaires des années 1960-70.

[2] Cette liste de pays renvoie aux films Dimanche à Pékin (1956), Lettre de Sibérie (1958), Description d’un combat (1960), Cuba si !  (1961) et La Bataille des 10 millions (1970, également à Cuba) ainsi qu’au livre, texte et photos, Coréennes (Le Seuil, 1959).

[3] Cité dans plusieurs films de Marker, l’ouvrage de Christophe figure en bonne place dans les références majeures pour l’entrée « Voyages » dans Immemory, CD-Rom autobiographique désormais accessible sur le site Gorgomancy.

[4] Début mai, L’Héritage de la chouette deviendra enfin accessible grâce à l’édition par Arte Vidéo, à partir des restaurations réalisées par la Cinémathèque française.

[5] En attendant, on se reportera à l’article « Nom d’un chat ! » consacré par Judith Revault d’Allones et Etienne Sandrin dans le catalogue de l’exposition de la Cinémathèque, coédité par Actes Sud, et au Poplab Guillaume-en-Egypte au Brésil d’octobre 2009 piloté par Agnès de Cayeux, avec Annick Rivoire et à nouveau Etienne Sandrin.

[6] Journal à plusieurs voix, pages 77-78.

[7] « Prologue », in Humains, non-humains. Comment repeupler les sciences sociales, sous la direction de Sophie Oudard et Olivier Thiery. La Découverte, 2011, pp. 255-262.

[8] Il s’agit du philosophe William James. Mais son petit frère, Henry, aurait pu en dire autant – Marker également, d’ailleurs il l’a dit,