Pablo, dis, sommes-nous loin de l’ailleurs ?
Ce titre en référence à la phrase prêtée à son amoureuse par le narrateur de la Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France : « Blaise, dis, sommes-nous bien loin de Montmartre? ». Elle m’est revenue en abordant à Marseille l’exposition « Picasso. Voyages imaginaires ». Après tout, le lien entre Picasso et Cendrars fut explicite pour un Jacques Doucet qui posséda et le manuscrit, mis en forme et en couleur par Sonia Delaunay, de la Prose et Les Demoiselles d’Avignon, deux œuvres au pouvoir iconique dans l’aventure du modernisme en France. L’art eut-il besoin d’un ailleurs, réel ou imaginaire, pour renaître en moderne ? Un ailleurs différent de l’exotisme que le classicisme goûtait tant.
L’exposition se tient dans le quartier marseillais dit du Panier qui, de tout temps, accueillit des exilés, de Corse, d’Italie, puis d’autres parties du monde. Picasso, lui, voyagea étonnamment peu au cours de sa vie. Sauf le grand voyage, celui qui le fit s’installer à Paris, quittant l’Espagne où, après la Guerre civile, il ne retournera jamais. D’où la justification du titre de l’exposition, « Voyages imaginaires ». Formule fragile : un voyage qui ne met pas en branle l’imaginaire n’est qu’un déplacement, ce qui entraîne que tous les vrais voyages sont imaginaires. Victor Segalen, grand voyageur, avait prévenu que ce qu’il appelait le « Divers », la matière du monde, jamais ne pouvait s’atteindre. D’où un ailleurs qui, comme l’horizon, serait en constant mouvement.
L’artiste s’absente de la « vraie vie », la réelle, la matérielle, pour la retrouver « ailleurs », sur sa toile ou sa page, et tenter de nous la faire comprendre.
« La vraie vie est ailleurs ». Ferdinand, dans Pierrot le Fou de Godard, n’est pas le premier ni le dernier à prêter cette phrase à Rimbaud en la travestissant. Arthur ne déplace pas la vie, il la situe comme « absente » : « J’ai oublié tout mon devoir humain pour le suivre. Quelle vie ! La vraie vie est absente. Nous ne sommes pas au m