« Enfers et fantômes d’Asie » – ce fut comme une apparition
La haine n’est pas le contraire de l’amour. Nos morts en savent quelque chose. La haine et l’amour qui les attachent à nous et nous maintiennent attachés à eux les transforment parfois en fantômes. L’angoisse ou l’envie de voir revenir les disparus parmi les vivants nous rappelle que fantôme et fantasme ont une étymologie commune, φάντασμα (phantasma) – un fantasme est un spectre qui vient border un trou. Les morts voyagent vite. Ils traversent les murs et se jouent des frontières psychiques et géographiques. Mais si chacun d’entre nous doit, au cours de son existence, négocier avec ses fantômes – qu’ils soient ceux de nos morts ou celui d’un être aimé, encore vivant, dont on a perdu l’amour mais qui continue à nous hanter –, les modes d’apparition des figures spectrales sont contaminés par la vie d’entre les morts de nos cultures et de nos croyances.
L’enfer bureaucratique dupliqué dans l’au-delà
Prenez la fascinante exposition « Enfers et fantômes d’Asie », proposée jusqu’à la mi-juillet au musée du Quai Branly. On y entre, comme dans une maison hantée, à pied, dans une pénombre rougeoyante où, tout à coup, les repères visuels sont altérés. Comme chez Dante, cela commence par une descente aux Enfers. Mais la comparaison s’arrête là. Le bouddhisme, comme bien des religions, propose une interprétation de la vie après la mort où la notion de permanence de l’âme n’a pas sa place. Tout s’y déroule sous le signe du provisoire pour les dieux comme les bêtes, les humains comme les damnés. Même les dix enfers des textes bouddhiques, organisés en cours pénales, sont un purgatoire dans lesquels les morts expient leur faute en attendant d’être réincarnés. On brûle les voleurs et les tricheurs. On fait frire les dépravés. On coupe la langue des médisants. On force les paresseux à gravir des montagnes de couteaux. Tout cela n’aura qu’un temps, en fonction du bon vouloir des vivants. Aux proches éplorés, ne restent en effet que les offrandes faites lors des rites funé