L’irrécupérable subversion de Lenny Bruce
On l’appelait le « sick comedian », autrement dit le comédien « malsain », celui qui est malade et qui rend malade. Lui se présente comme « irrécupérable » tel que l’indique le titre de son autobiographie parue en 1965 et traduit pour la première fois en français aux éditions Tristam. Incarnation d’une nouvelle génération d’humoristes qui, avec Mort Sahl, déplaça l’humour scénique à la fin des années 1950 aux États-Unis en l’amenant sur un territoire plus politique, Lenny Bruce est surtout connu pour les arrestations à répétition pour obscénité dont il fut l’objet – des arrestations qui défrayèrent la chronique, mobilisèrent plusieurs figures d’intellectuel·le·s et du monde du spectacle de l’époque et finirent par avoir raison de Bruce, dissuadant, les dernières années avant sa mort par overdose en 1966, les gérants de Comedy clubs de l’accueillir sur scène.
L’autobiographie de Lenny Bruce peut d’abord s’appréhender tel un objet historique. Elle nous plonge dans l’Amérique d’avant et d’après-guerre, celle des classes les plus modestes, marquées par l’horizon de la précarité et la quête de respectabilité, celle des GI’s en phase de « réinsertion » après des années passées au combat, celle enfin des premiers élans de la consommation de masse et des prémisses de la télé-réalité. Les chapitres consacrés à l’achat d’un coûteux lave-linge, finalement installé dans le salon car trop grand pour passer la porte de la cuisine, ou aux déboires de Bruce pour « dégotter une sexagénaire » de confiance pour incarner une veuve éplorée dans l’émission Your Mystery Mrs… jettent à ce titre un regard particulièrement ironique sur l’entrée dans les ménages des biens de consommation courante au nom du gain de confort et le cynisme du monde du divertissement.
Dans ce paysage, l’autobiographie brosse un portrait décapant du comédien et nourrit une image de « mauvais garçon », qui, non sans malice, se saisit des failles de la bien pensance et des bons sentiments de la classe bour