Cinéma

Une censure très politique : l’affaire de La Religieuse

Anthropologue

Montré il y a quelques jours en version restaurée à La Cinémathèque française, le deuxième film de Jacques Rivette, La Religieuse, a fait l’objet, on le sait, d’une censure préalable au tournage. Ce qu’on ne savait pas, et que prouve une minutieuse enquête, c’est que cette censure avait été consentie personnellement par le général de Gaulle dans le cadre d’un marché électoral passé avec l’archevêque de Paris de manière à s’assurer le soutien de l’Église pour la présidentielle de 1965.

En juillet 1965, Georges de Beauregard a enfin réuni les fonds nécessaires pour produire le deuxième film de Jacques Rivette, une adaptation de La Religieuse de Diderot. L’action se déroule au XVIIIe siècle, dans une famille bourgeoise qui veut se débarrasser d’une fille adultérine en la cloîtrant dans un couvent. L’héroïne s’en extrait au gré d’épisodes dramatiques qui l’entraînent dans trois couvents successifs, puis dans la fuite et le suicide. Le cinéaste entend mettre en scène les péripéties d’une émancipation personnelle, nullement les horreurs des couvents ou celles du catholicisme : le producteur a d’ailleurs pris la précaution de soumettre le scénario aux religieux responsables du cinéma ainsi qu’au jésuite qui l’avait conseillé pour Léon Morin, prêtre en 1961.

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Le 25 septembre, Beauregard annonce le tournage du film dans La Cinématographie Française. La presse fera bientôt de cet avis le point de départ de « l’affaire Rivette », qui a occupé la une des journaux de la fin 1965 à l’été 1967. A l’époque, elle a ainsi compris les événements : une religieuse lit cette annonce, elle craint que le film ne porte atteinte à la réputation des couvents, et elle alerte ses sœurs. Celles-ci organisent alors une spectaculaire campagne de pétitions en utilisant le réseau des écoles privées : la France en est inondée, et le ministre de l’Information chargé de la censure filmique s’en émeut au point que, le 31 mars 1966, il interdit La Religieuse.

Cette version des faits a longtemps prévalu, mais en réalité la campagne de pétitions n’a pas eu l’origine qu’on a dite, et ce n’est pas elle qui a convaincu le ministre. En 1994, j’ai pu consulter les archives catholiques du cinéma, dont les gardiens semblaient d’ailleurs ignorer la teneur : confrontées avec les autres matériaux de l’affaire (ceux du Centre National de la Cinématographie et la presse), elles démontrent qu’au jour où le producteur annonçait le tournage, le sort du film était déjà scellé en raison d’un é


Jeanne Favret-Saada

Anthropologue, Directrice d'études à l'EPHE

Mots-clés

Laïcité