Littérature

Folie de (sur)vivre – Sur La Folie Elisa, de Gwenaëlle Aubry

Critique

Dans son nouveau roman, Gwenaëlle Aubry réussit un tour de force : celui de proposer, grâce à quatre personnages principaux, quatre variations autour du thème de la folie en même temps que quatre variations sur l’art, l’amour, la beauté et l’ivresse de vivre. Livre aux récits enchevêtrés et à la narration subtile, il questionne par sa forme même ce que l’esprit humain a parfois de trop raisonnable.

Elles sont quatre, comme les quatre matriarches bibliques – Sarah, Rébecca, Rachel et Léa – mais celles-ci, dans le roman de Gwenaëlle Aubry, La Folie Elisa, seraient mères de quel nouveau monde à venir ? Pour l’instant porteuses d’un monde détruit, à moins qu’elles ne soient gardiennes de ses ruines. L’une d’entre elles, la seconde par ordre d’apparition, s’appelle justement Sarah, les autres Emy, Ariane, Irini. Emy est anglaise, musicienne de rock, Sarah est israélienne, danseuse, Ariane française et actrice, Irini, grecque et sculptrice. La musique, la danse, le théâtre, la sculpture. Incomplet cortège de muses, leurs disciplines sont de scène ou de représentation, comme si ce qu’elles devaient affronter ou combler tenait dans un manque de figuration possible dans le monde, une esthétique hors-service, une réalité devenue insaisissable par la sensation ou par le concept, débordant nos cadre sensibles et cognitifs, du « jamais vu, jamais entendu »/« pas vu, pas pris »/« ni vu, ni connu », un quotidien dissous dans un bad trip, un too much qui appellerait un excès narratif et rhétorique. Une folie. Elles ont toutes les quatre renoncé, fugué, quitté (une carrière, une famille), connu des amants, des douleurs, des folies et trouvent accueil dans une maison. Se sont données, ont tout donné puis sont parties. Ce livre raconte leur trajectoire : « Elles ne sont pas une invention : elles sont la vie » (page 83).

L’anglais de Walt Witman (souvent cité) et de Nirvana (cité une fois). Passer par l’anglais, passer par l’autre. Le débordement a pu se dire en français depuis le XIXe siècle (Baudelaire, Céline, Artaud) mais les six ou sept dernières décennies l’ont préféré en anglais. Si Jim Morrison ne jurait que par Rimbaud, l’inverse est sans doute vrai au paradis des maudits. Quoique la pierre tombale du chanteur des Doors affiche une inscription en grec ancien, Gwenaëlle Aubry qui est aussi philosophe et helléniste décide plutôt d’inviter l’anglais dans son texte, dans le


*J’ai succombé à son évidence en avançant dans La condition de l’exilé (2018 [2015]) que les victimes partageaient toutes la dissipation d’un chez-soi garant de sécurité et de protection.

Alexis Nouss

Critique, Professeur en littérature générale et comparée

Rayonnages

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Notes

*J’ai succombé à son évidence en avançant dans La condition de l’exilé (2018 [2015]) que les victimes partageaient toutes la dissipation d’un chez-soi garant de sécurité et de protection.