Littérature

Tire sur ta corde ! – Sur Tenir jusqu’à l’aube de Carole Fives

Critique

Si Carole Fives parvient autant à nous toucher avec son nouveau roman Tenir jusqu’à l’aube c’est sans doute par l’émouvant portrait de femme qu’il compose, celui d’une jeune mère célibataire tiraillée entre les exigences de la maternité et son insatiable soif de liberté. Mais c’est autant par la sobriété de ce récit social très habilement construit, en réaction à La Chèvre de Monsieur Seguin.

L’héroïne du roman de Carole Fives n’a pas de nom, ni de prénom. Cet anonymat renvoie à sa transparence sociale : elle est dépourvue d’identité propre comme de revenus décents, de place en crèche, de considération et d’amour. Cela en fait aussi un personnage type, symbole de la condition des mères célibataires. Cette jeune femme vit à Lyon, son quotidien est happé par l’éducation de son fils et asphyxié par les contraintes et la solitude : graphiste freelance dans l’édition, elle essaie de survivre. Pour tenir, elle se livre à une transgression suprême qui la culpabilise énormément : elle fait de petites fugues pendant le sommeil de son fils, d’abord de quelques minutes pour faire le tour du pâté de maisons, puis de plus en plus longues…

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Le récit, sobre, est centré sur les tâches très matérielles que doit accomplir l’héroïne, en tension avec son désir de liberté. Car c’est la société tout entière qui exerce à son encontre son hostilité : du pédiatre dédaigneux et pressé, aux services sociaux débordés, en passant par les voisins méprisants, la banque, ses employeurs ou même son propre père, qui ne comprend pas les caprices de son petit-fils. Abandonnée lâchement par le père de son enfant, qu’elle n’ose pas attaquer dans l’espoir d’un retour, l’héroïne l’est aussi de son entourage quotidien, qui semble ligué contre le duo fragile. Mais l’absence de solidarité s’exprime aussi sur les réseaux sociaux et leurs forums multiples où la mère isolée pense pouvoir trouver du soutien quand elle tape sur Google « laisser bébé seul + sortir » : l’idéal de la mère parfaite s’y fait plus pressant qu’ailleurs, et les « Magic-mum » ou autres Pitchoune22 sont d’une violence sans nom.

Elle est une héroïne authentique puisque le roman consigne toutes les preuves de son incroyable résilience.

Aux rares qui osent exprimer l’idée de laisser seul un instant un enfant endormi, on oppose immédiatement l’exemple de la disparition de la petite Maddie, et les jugements sont sans appe


[1] Alexandre Gefen, Réparer le monde, Corti, 2017, p.10-13

Françoise Cahen

Critique, Professeure de lettres en lycée, Chercheuse en littérature

Rayonnages

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Notes

[1] Alexandre Gefen, Réparer le monde, Corti, 2017, p.10-13