L’amour d’un être mortel et le journal de vie de Jean-Michel Espitallier
Il y a avant, il y a après. Lors d’une seconde, et même d’une fraction minuscule de seconde, le cœur d’un être mortel s’arrête et alors le sang qui coulait s’arrête, l’air qui passait dans le sang s’arrête, la peau où circulait sang et air se fige. Cet avant/après impossible, absolu, irreprésenté, fou, La Première Année, du poète et écrivain Jean-Michel Espitallier, l’explore avec concentration, millimétriquement, pas à pas, traversant l’épreuve de la sidération et de la présence de l’absence.
Il y a les quelques semaines précédant la mort de Marina sa compagne, et puis il y a l’année d’après (de deuil, dit-on) : le récit s’organise ainsi simplement, avec évidence. Et entre les deux il y a cette fraction de seconde, terriblement abstraite, de la fin et de l’arrachement. Le décès a lieu à l’hôpital, après deux semaines d’agonie et cinq ans d’un cancer du sein, dans la nuit, à 1h58. « Mardi 3 février, 1h20. Je me suis réveillé, je t’ai encore parlé, et je t’ai dit des choses très secrètes… Puis je me suis rendormi. Un peu plus tard, quelque chose m’a tiré de mon sommeil. Quelque chose de nouveau. Quelque chose de l’ordre d’une effraction. D’une effraction soustractive. Quelque chose qui ne s’était encore jamais produit dans cette chambre et qui n’était pas là quelques instants plus tôt. […] Ce quelque chose, c’était l’absence de ta respiration. L’apparition catastrophique de ce plus-là. Le son de la mort. »
Cette micro-seconde, est-ce encore du temps ? « Le 3 février 2015 je suis passé sur l’autre rive. Notre histoire a eu lieu. Il ne reste que le lieu. Et ce lieu, déconnecté du temps où ce temps a eu lieu, est un moment sans temps. » Apprendre à reconstruire un rapport au temps, présentifier l’absence et ce temps qui passe et, bien sûr, traquer les traces : parce qu’on est resté vivant, alors il va falloir s’y mettre, et la poésie sera le moyen de cette tâche phénoménologique.
Compter se révèle une forme puissante de narration quand il s’agit de le faire a