Un peuple incarné et son roi – à propos du film de Pierre Schoeller
Disons-le d’emblée, le dernier film de Pierre Schoeller est admirable, de ceux qui unissent sensibilité et pensée. Filmé à hauteur d’hommes, au sens technique comme au sens spirituel, il se construit en une succession d’images-temps, qui rendent présent au spectateur ce qui se conçoit bien : le processus d’une puissance collective dans sa métamorphose éthique et son œuvre de transformation sociale et politique. Les différentes séquences sont comme des coups de sonde dans l’événement, permettant à la sensibilité d’éprouver ce changement de monde vertigineux, sur une durée de trois ans et demi, du jeudi saint le 9 avril 1789 au 21 janvier 1793, jour de l’exécution de Louis XVI. Parler d’images s’entend au sens cinématographique, exposant le mouvement des corps, les lumières et incluant la bande son. Celle-ci joue un rôle capital : les voix qui incarnent les esprits, les corps qui se meuvent façonnés par les habitus sociaux, la musique qui porte l’émotion, les bruits de la ville, de la foule, de la fusillade qui constituent le fond des existences concrètes et les silences, littéralement assourdissants, qui intensifient chaque moment dramatique.

Comment montrer un peuple au cinéma [1] ? La question n’est pas simple dès lors qu’on ne se contente pas de filmer le Peuple conscient de soi et du sens de l’Histoire, ou la populace turbulente, prête à lyncher le premier aristocrate de passage. Ni cet excès d’honneur, ni cette indignité chez Schoeller. Ni La Marseillaise, ni L’Anglaise et le Duc.
Le film commence par un prologue sans lequel nous ne ressentirions pas la fissure qui va s’ouvrir sous nos yeux : le jeudi saint le roi lave les pieds de quelques enfants pauvres, dans un salon du château de Versailles. Ils sont vus, ces enfants, comme d’étranges animaux, sous les rires moqueurs de la reine et de grandes dames de la cour : étrangeté d’une espèce lointaine, marchant pieds nus, valorisant la profondeur de la foi et du dévouement du monarque baisant ces pieds qui, à l’