Les Démons selon Creuzevault, entre le rire et l’effroi
Il y a quelque chose de pourri dans le royaume de Russie, au fond des coupes de champagne et sous les cieux désormais vides, vides comme ces vies qu’on dilapide, où continuent pourtant à sonner les cloches. Mais les cloches sont fêlées, comme ces cœurs d’où la foi s’échappe, cette foi qui fond comme cette croix de glace couronnant une chapelle de néons. Quels sont donc ces Démons, dont tous les personnages sont possédés ? La superstition religieuse, le nihilisme révolutionnaire, le socialisme athée. Autant de chapelles et de chapes de plomb que Dostoïevski dénonce, repoussant des idéologies qu’il juge néfastes et terroristes.

Sylvain Creuzevault et sa compagnie D’ores et Déjà s’emparent de ce grand livre inquiet et, à travers un travail dramaturgique remarquable, mettent à jour les maux qui nous rongent, avec un sourire goguenard aux lèvres. Au fil de leurs spectacles, depuis Notre terreur en 2009, qui nous plongeait dans la Révolution française, puis Le Capital et son Singe, inspiré de Marx en 2014, et enfin Angelus Novus Antifaust, en 2016, une ligne se dessine : l’anatomie de nos structures sociales.
Certains metteurs en scène, comme Macaigne avec Idiot!, et Bellorini avec Les Frères Karamazov, s’étaient déjà risqués ces dernières années à une adaptation théâtrale de Dostoïevski, peut-être car cet auteur permet de penser la dialectique, diablement contemporaine, entre rationalisme exacerbé et quête de spiritualité. Avec Les Démons, Creuzevault et son équipe tissent des liens entre hier et aujourd’hui, et louvoient entre le rire et l’effroi, n’hésitant ni à tomber dans le grand-guignol et l’agit-prop, ni à déboulonner la statue du commandeur russe. Ils réussissent le pari d’offrir un spectacle tout à la fois jouissif et exigeant, où l’on fixe des vertiges métaphysiques avant de se vautrer dans la boue et la fausse hémoglobine, clignant de l’œil vers le symbolisme érudit puis flirtant avec le potache à l’envi.
Si le roman est divisé en trois parties, Creuzevault d