Théâtre

Théâtre de réparation – à propos de « Sopro » de Tiago Rodrigues

Journaliste

Avec Sopro, Tiago Rodrigues conçoit un spectacle aussi intelligent qu’émouvant sur la mémoire et les résonances entre l’art et la vie. Reprenant le réel par le théâtre, réparant le premier par le second, le metteur en scène affirme sa croyance fondamentale en la capacité du théâtre à transmettre la vie.

Dans Love me or kill me, ouvrage posthume consacré à Sarah Kane (L’Arche, 2004), on trouve cette citation de la dramaturge : « Le théâtre n’a pas de mémoire, ce qui fait de lui le plus existentiel de tous les arts. C’est sans doute pour ça que je ne cesse d’y retourner, dans l’espoir que, dans une salle obscure, quelqu’un me montrera une image qui pénétrera dans mon esprit en s’embrasant, y laissant une marque plus permanente que ce moment lui-même. »

De prime abord, difficile de mettre en doute la première phrase de cette citation. Oui, la disparition est intrinsèque au théâtre. L’activité théâtrale se définit par l’éphémère, n’existe que dans le temps donné de la représentation, et les spectacles – à de très rares exceptions [1] – ne sont visibles que pendant une courte période. Si les différents documents, traces, témoignages, enrichis aujourd’hui par les progrès technologiques, permettent de documenter les créations, si les institutions théâtrales se préoccupent de plus en plus de leurs archives, les œuvres elles-mêmes disparaissent.

Pourtant, à assister à une représentation de Sopro, la journaliste se prend à rêver que la dramaturge britannique Sarah Kane soit encore en vie, et qu’elle puisse découvrir ce spectacle. Dans cette œuvre écrite et mise en scène par Tiago Rodrigues et créée en juillet 2017 lors du festival d’Avignon, la disparition, l’éphémère, la fragilité n’empêchent pas la mémoire. Il se prolonge à travers elle une survivance du théâtre, rappelant que toute représentation se transmet, se partage par la mémoire des spectateurs et de ses créateurs.

Tout en admettant la fragilité du théâtre, le spectacle affirme sa croyance fondamentale en sa capacité à se transmettre.

Lorsque Sopro débute, le théâtre est déjà là, a déjà lieu. Prenant place dans la salle, les spectateurs découvrent, en effet, une scène non seulement visible (elle est à vue), mais éclairée. L’espace théâtral représenté est basique, simple : un plancher de bois, une méridienne à jardi


[1] Comme au Théâtre de la Huchette, à Paris, où se joue depuis 1957, dans la même mise en scène, La Leçon et La Cantatrice chauve d’Eugène Ionesco.

Caroline Châtelet

Journaliste, critique

Notes

[1] Comme au Théâtre de la Huchette, à Paris, où se joue depuis 1957, dans la même mise en scène, La Leçon et La Cantatrice chauve d’Eugène Ionesco.