Littérature

Kafka dans La Pléiade : les œuvres d’un disparu

Critique

Les Œuvres complètes de Kafka paraissent en Pléiade dans une nouvelle traduction de Jean-Pierre Lefebvre. Celui-ci, faisant de l’humain la mesure de toute chose, fait ressurgir la puissance et l’originalité de l’auteur, lui qui avait disparu sous nombre d’interprétations dogmatiques.

Il est notoire que Kafka a souhaité que son œuvre fût brulée et que tout lecteur de l’auteur pragois se retrouve de facto complice de la trahison de Max Brod qui n’accéda pas à la demande de son ami. On entre par effraction dans son œuvre, ce qui vient efficacement illustrer le sens toujours fuyant de ses écrits, comme si nous n’avions pas le droit de les comprendre, que notre expérience devait se résumer à une traversée sans point d’arrivée. Qui décide de ce à quoi tout individu a droit constitue au demeurant l’un des thèmes majeurs, peut-être le motif central de l’œuvre, et la raison de sa pertinence actuelle.

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Mais Kafka n’exigea pas que les photographies prises de lui disparaissent, ce qui pourtant n’eût pas été étonnant de la part d’un écrivain dont les personnages n’ont qu’une silhouette esquissée et dont seuls les mouvements et actions racontent le tempérament quoique ce même écrivain n’a jamais dissimulé l’importance autobiographique de son écriture en ce qu’elle lui était indispensable pour simplement accepter d’exister.

Toujours est-il que le catalogue connu des portraits de Kafka (une dizaine environ) est décliné selon trois modes : le séducteur, l’angoissé, le candide. C’est le dernier type – Kafka y a 23 ans, élégamment cravaté, le regard au loin – qui pare la couverture du volume I, « Nouvelles et récits », des Œuvres complètes publiées dans La Pléiade sous la direction de Jean-Pierre Lefebvre, la même image, resserrée sur le visage, étant reproduite sur la jaquette du volume II, « Romans ». Sera-ce toujours le même portrait, de plus en plus zoomé en avant, qui servira pour les quatre volumes prévus, le dernier ne présentant plus que les yeux charbonneux de Franz ?

Chez Kafka, l’être humain est spectateur, un statut auquel le renvoient inéluctablement toutes ses tentatives d’intervention dans le monde.

Une œuvre et un écrivain réduits à un regard ne seraient pas incongrus dans son cas puisque son rapport au monde, tel que l’œuvre le rapporte,


Alexis Nouss

Critique, Professeur en littérature générale et comparée

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