Bayon, ou les intermittences de la conscience
Mais où vont-ils donc, les livres lorsqu’ils s’en vont, quand ils nous abandonnent, qu’ils ne nous parlent plus, ni à nous ni de nous, et pour tout dire ne nous couvrent plus ? C’est un étrange instant d’absence à son œuvre et peu ou prou d’épouvante qu’a éprouvé Bayon au printemps 2015, en Bretagne, lorsqu’il s’est vu confronté à la pile de ses propres livres présentée par un enfant de six ans découvrant sa qualité d’auteur : « C’est vraiment toi qui les as écrits? »
Court-circuit, trou blanc, impossible de les remettre, ces livres, d’entrevoir le moindre lien de cause à effet de lui à eux. La neurologue bientôt consultée nommera ce phénomène « ictus amnésique», pour l’heure un constat s’impose : face à l’enfant qu’anime une curiosité heureuse, l’adulte s’est montré incapable de répondre, d’en répondre, submergé par un sentiment d’irréalité littéralement confondant. Mais qui, des livres ou de leur auteur, aura ainsi fait les poches de la réalité, dans cette scène de conte au fin fond de la Bretagne ? Est-ce lui qui subitement ne se trouvait plus en mesure de les reconnaître (il n’y a pas que la paternité pour être une fiction légale), ou sont-ce les livres eux-mêmes qui ont ex abrupto dénié toute forme d’autorité à l’individu assis là par hasard et nommé « en réalité » Bruno Taravant, ami de l’hôtesse des lieux, compagnon de la mère-grand de l’enfant aux livres, et qui à cet instant n’a su que s’enfoncer dans son fauteuil en bruits de gorge ridicules ou effarants, on ne sait, Loup y es-tu ?
L’objet livre n’est qu’une fin provisoire ; entre les livres , l’écriture demeure, somnambulique, funambulesque, travaillant la question de l’absence à soi dans un sentiment de présence au monde qui ne saurait s’accomplir que sur la page.
Après tout, le nom de Bayon est un nom de plume, autant dire un nom de peu de poids (un kilo de plumes ne fera jamais un kilo de plomb, inutile d’essayer de nous la refaire) : un nom qui pourrait aussi bien s’envoler léger comme un