Un chamane spinoziste ? À propos de Frères Sorcières d’Antoine Volodine
J’avais rencontré Antoine Volodine, il y a quelques années, sans doute au moment de la publication de Bardo or not bardo, pour un entretien qui se tint à l’ancienne adresse des éditions du Seuil, rue Jacob, si mes souvenirs sont bons, ou peut-être dans un café voisin. C’était avant les i-Phones, on enregistrait la conversation sur un magnétophone à cassette, un petit Sony qui permettait ensuite de moduler la vitesse, de jouer ainsi avec la voix, ses effets parfois presque comiques… Je me rappelle bien cette rencontre parce que Volodine parla longuement, ce jour-là, d’une certaine Maria Soudaïeva, dont il se prétendait le traducteur : sous le titre SLOGANS, un livre venait en effet de paraître de cette femme fantôme, surgie très sérieusement de la mythologie (très) personnelle d’un écrivain à hétéronymes, terrible et pince-sans-rire, dont la capacité de délire mêlé – fulgurance noire, imparable trivialité – n’a guère d’égale parmi les auteurs contemporains.

Je ne savais pas trop comment prendre l’histoire de Maria Soudaïeva, poétesse inconnue et suicidée, coréenne et sibérienne, soi-disant rencontrée à Macao, dont il me semblait de plus en plus évident (avais-je été le seul dupe jusque-là ?) qu’elle était une pure invention de Volodine, lequel prenait un malin plaisir, je crois, devant mon air de gobeur de mouches, à prolonger son histoire, la nourrir de détails biographiques incongrus… De fait : Maria Soudaïeva exista bel et bien, dans le vif de cette conversation à demi-perdue aujourd’hui (quel est donc le destin des cassettes « audio » ?). Elle existe et elle revient, me dis-je enfin, en découvrant Frères Sorcières, le nouveau livre de l’inventeur – entre autres – du concept de post-exotisme, dont on ne dira pas qu’il est un roman, si l’on veut respecter l’étiquette qui lui est donnée d’« entrevoûtes », laquelle n’est pas purement décorative, on le verra.
Frères sorcières suscite d’abord, avouons-le, une légère réserve : revoilà donc Volodine, pense-t-on, avec se