Un abri dans la tempête – sur More Blood, More Tracks de Dylan
Il fut une période où la dylanologie était une maladie très répandue à la surface de la Terre. Certains allaient jusqu’à fouiller dans les poubelles du chanteur pour tenter de déchiffrer le sens des aphorismes, des métaphores et des paraboles ; d’autres, moins téméraires, se contentaient de lire et relire les chansons avec un scalpel pour y découvrir des messages cachés.

Derrière ses lunettes noires, l’homme ne sourcilla jamais, et s’amusa plutôt de celles et ceux qui voyaient des signes kabbalistiques, des références métaphysiques ou des interprétations géopolitiques partout. La panthéonisation du natif de Duluth a paradoxalement calmé les ardeurs interprétatives. Désormais auréolé du Prix Nobel de littérature, le chanteur qui invitait jadis « tout le monde à se défoncer » (« everybody must get stoned ») semble devenu sage comme une image.
La publication en novembre dernier de l’intégralité des enregistrements de l’un de ses albums les plus importants, Blood on the Tracks (1975), a été un grand moment de paresse critique. A juste titre, chacun cria au génie créateur à l’écoute de deux sessions d’enregistrement du même album. En quelques mois, au cours de l’automne 1974, Dylan réinventa ses chansons ; tel un sculpteur, il les malaxa jusqu’à en obtenir une forme temporairement acceptable, qu’il n’aura de cesse de retravailler ensuite.
Et les soixante-huit enregistrements désormais disponibles sont à ce titre éblouissants. La beauté nue est renforcée par le propos lui-même : Dylan y décrit des ruptures, des douleurs intimes et des êtres en souffrance. Comment ne pas y voir un écho à l’effondrement de son propre mariage avec Sara, la femme adorée dont il chanta les yeux tristes dans une litanie enregistrée quelques années plus tôt ? Les deux sessions confirment cette lecture personnelle : à des versions trop introspectives et larmoyantes enregistrées dans un premier temps, Dylan préféra des enregistrements plus rythmés et moins lugubres. En dépassant son échec intime,