Une guerre sans fin – sur un roman d’Antonio Lobo Antunes
On regarde la bibliographie d’Antonio Lobo Antunes, elle est longue, on a lu beaucoup de ses livres, leurs souvenirs parfois se croisent et d’eux nous reviennent surtout des moments, les circonstances aussi où c’était comme une espèce d’apnée nécessaire, addictive, que de demeurer dans le tourbillon organisé des voix, leitmotive, séquences, dont l’organisation si particulière n’a pas varié jusqu’à ce vingt-huitième roman traduit en français, Jusqu’à ce que les pierres deviennent plus douces que l’eau.
On regarde une œuvre, en vérité, et chaque livre donne à lui seul l’immédiate impression d’une globalité accessible par le plus petit détail de sa plus infime partie : une toile ou une cathédrale, une tapisserie si l’on veut, toutes les métaphores sont disponibles pour suggérer ce qui fait l’espèce de force mégalomane et scrupuleuse de Lobo Antunes, dont l’entrée prochaine dans la bibliothèque de la Pléiade (de même que l’annonce toujours reportée d’un possible Prix Nobel de littérature) ne relève pas de la simple anecdote : voilà bien un romancier du tout, un homme de fresque aux talents de miniaturiste, une sorte d’ogre poète, génie bougon, qui met son monde et l’univers en bouteille et les boit d’un coup, les restitue par tonneaux, les charrie enfin en pages-fleuves jusqu’à la mer toujours inachevable d’une « œuvre complète » identique et recommencée, d’une absolue cohérence de globe.
Toujours la même histoire, et presque à chaque fois, pourtant, le choc d’un livre singulier.
Bien sûr, cette œuvre-terre (et mer) tourne autour du même axe et d’obsessions sempiternelles, universelles de toute façon : la mémoire, la guerre, la mort ; toujours la même histoire, et presque à chaque fois, pourtant, le choc d’un livre singulier, un motif inédit dans le riche tapis de tant d’ouvrages déjà parus… Jusqu’à ce que les pierres deviennent plus douces que l’eau produit cette déflagration neuve, même si on y retrouve, en effet, tout ce qui constitue depuis Mémoire d’élé