Curtis Mayfield ou la prescience soul des années Trump
En apprenant l’élection de Donald Trump le matin du 9 Novembre 2016, écouter un peu de musique semblait être la seule chose sensée à laquelle se raccrocher. Et histoire d’amortir le choc, de glisser un petit matelas entre soi et le gros cauchemar annoncé, le choix s’est naturellement porté sur Right on For The Darkness, l’un des moments de bravoure orchestrale dont le Curtis Mayfield du début des années 70 avait sinon l’exclusivité, du moins l’intimidante maîtrise, cette science du paroxysme sonore inégalée (sauf peut être à la même époque par le producteur des Temptations, Norman Whitfield).

L’intro lancinante et lugubre à souhait à la guitare, suivi du décollage en trombe basse batterie pareil à l’allumage des boosters d’une fusée lancée vers ce qui était déjà identifié comme le grand trou noir de la démocratie américaine. Et puis les cordes en nappes soyeuses et enfin cette voix caressante, féminine, sublimant des paroles nimbées d’une résignation enragée, d’une amère jubilation, terrifiantes, définitives. Disant en gros que, puisque nous en étions arrivés à un point de non retour dans l’histoire de ce pays décidément sans espoir, autant sauter à pieds joints dans l’abîme une bonne fois pour toutes. Et advienne que pourra ! Voilà le genre de morceau en mesure d’accueillir l’horreur d’un instant tout en la rendant supportable. Au moment de la sortie du disque sur lequel figure la chanson (Back To The World), l’expression volontariste right on ! ne faisait plus guère recette dans le vocabulaire militant des résiduels mouvements nés de la fragmentation des Black Panthers.
L’enthousiasme qu’il traduisait chez les brothers and sisters s’étant embourbé dans les dissensions de chapelles, avant de disparaître dilué dans la fatigue du quotidien, Curtis s’était finalement contenté de le reprendre pour lui donner une manière de coup de grâce fataliste et désenchanté, saupoudré d’ironie saumâtre. Right on for the darkness ! En route pour les ténèbres ! Et pourquoi pas arbe