Le Proust nietzschéen de Klossowski
Voilà un tout petit livre d’un grand poète et magnifique lecteur : dépouillé de la préface et des éclairages de l’éditeur Luc Lagarde, le Sur Proust posthume de Pierre Klossowski (1905-2001) ne compterait guère qu’une soixantaine de pages.
Mais ces pages vont droit à leur but, ne s’encombrant ni de détours ni de citations pour délivrer l’essentiel d’une lecture salutaire d’être profondément vécue. Leur publication fait événement en raison de fulgurances dans le rapprochement entre Proust et Nietzsche, mais également en raison du contexte dans lequel opère cette parution, alors que la tendance contemporaine est à la sacralisation de Proust, l’homme autant que l’œuvre.
Et sacraliser, c’est toujours mettre à part, isoler afin d’éviter les profanations ; c’est procéder à une séparation de la littérature et de la vie, à rebours exactement de la démarche proustienne telle que la résume ici l’auteur de Roberte ce soir et de Sade mon prochain : « La constante référence à l’art et à la souffrance prouve que ce n’est pas à la sublimation que songe Proust : l’art n’est pas au-dessus de la vie – mais l’autre côté de la vie – le seul réel. Tout art considéré comme au-dessus de la vie permet de le considérer comme un divertissement et donc de le mettre en-deçà de l’existence. L’art est la vie même et ce que l’on nomme l’œuvre n’est jamais que l’instrument de cette seule vie réelle. »
Comme dirait Clint Eastwood chez Sergio Leone, et avec le même raffinement, l’on pourrait affirmer que le monde contemporain des commentateurs proustiens lui aussi se divise en deux : d’un côté les esthètes, de l’autre les poètes. Moteur de cette sacralisation en marche, les premiers dominent la scène contemporaine. Goûtant manifestement leur plaisir, ils semblent considérer que Proust a élaboré un objet esthétique de premier plan, d’une infinie délicatesse, pour atteindre à une forme de beauté littéraire inédite par son ampleur aussi bien que par sa lucidité bienveillante – et tout le res