Lire Agamben (en ami) – sur Création et anarchie
Comment lit-on Agamben ? Et qui le lit : les universitaires, les érudits, peut-être les abonnés d’AOC ? La question n’est pas absurde, tant le public du philosophe semble pouvoir être divers, et même multiplié. Elle m’est venue dans un train, le seul espace qui restait encore possible, avant que les écrans n’y gagnent à leur tour toute la place, pour s’isoler bienheureusement parmi les autres dans un livre, et la contrainte d’une durée faite pour cela – choisir le bon volume, pour le bon trajet. Bref, le recueil Création et anarchie de Giorgio Agamben était posé sur ma tablette, et mon voisin, monté à je ne sais plus quelle gare (on voyait déjà les Alpes), un homme sans âge précis, un peu chauve et souriant, qu’on devinait montagnard (ses chaussures), me demanda s’il pouvait jeter un œil à ce livre qui, visiblement, l’intriguait. Il n’avait jamais lu une ligne d’Agamben, me dit-il, mais en avait beaucoup entendu parler ; je ne suis pas sûr que ce fût vrai, mais ce qu’il découvrait là le mit, je dois l’avouer, dans un état assez euphorique : c’est très mystérieux, s’enthousiasmait-il, presque étrange, on a envie de savoir la suite !
Envie de savoir (la suite) : il y a en effet chez Agamben, dans la manière même d’exposer les strates de sa pensée, une incroyable force de fascination – une façon propre de nous captiver, nous rendant littéralement captifs d’un propos qui procède, presque l’air de rien, par passage d’une référence à l’autre, de la philologie la plus érudite au questionnement de la poésie ou à l’archéologie de la politique (du moins occidentale), du droit théologique médiéval à la glose de Walter Benjamin dont il semble s’être rapproché de plus en plus au fil d’une œuvre aujourd’hui considérable, intimidante par bien des aspects, qui ne cesse en tout cas de remettre en jeu un certain nombre de motifs : usage, pauvreté, ouvert, camp, forme de vie, désœuvrement, etc. Presque par réflexe, on aimerait pouvoir réunir l’ensemble des notions dans le c