Littérature

L’écriture à l’aventure dans une zone critique – à propos de Kiruna de Maylis de Kerangal

Journaliste

Maylis de Kerangal débarque de nuit à l’aéroport de Kiruna en Laponie suédoise, la ville porte le même nom que la mine – la plus grande au monde – qui la fait vivre. C’est le territoire qu’a choisit l’autrice pour un reportage littéraire dans lequel observations savantes et sensibles s’entre-nourrissent. Tour à tour artiste, ethnologue ou géographe, elle échafaude une œuvre originale qui, en combinant ces approches, permet de dresser un portrait en rhizomes de Kiruna. Un grand petit livre.

En avion, en voiture, à pied. Ce serait une idée, un peu abstraite, mais qui deviendrait le plus concret des voyages. Une expédition, des rencontres, une enquête – comme les ethnologues, les journalistes ou les détectives, mais avec un outil très particulier : la littérature. L’écriture pas seulement comme moyen, mais comme ressource.

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« J’ai cherché une mine où aller. Une mine active, bruyante et peuplée – et non un bassin industriel désactivé, recyclé en patrimoine muséal… » Un jour, Maylis de Kerangal a conçu le projet de visiter la plus grande mine de fer du monde. Elle s’appelle Kiruna, comme la ville près de laquelle elle se situe, et qu’elle fait vivre, tout au Nord de la Suède. Avec un ou deux contacts en poche, l’écrivaine est partie. Ensuite…

Ensuite beaucoup de choses, qui aboutissent à ce petit livre à la couverture blanche semée de signes bleus, comme des cristaux de glace. Car la visite de Kiruna est une aventure. Pourtant il ne se produira rien de particulièrement spectaculaire, de particulièrement « romanesque ». Invitée dans le cadre d’une résidence d’artistes initiée par la Communauté d’agglomération de Béthune-Bruay, et intitulée « Mineurs d’un autre monde », l’écrivaine a préparé son voyage, plutôt comme une ethnographe, elle a regardé les cartes, exploré les photos aériennes disponibles sur Internet, lus les documents, pris rendez-vous avec un responsable. Mais, parce qu’elle est écrivaine, elle prête aussi attention à la beauté des formes, à l’esthétique des modèles numérisés, à des impressions subjectives.

Par exemple, à son arrivée en Laponie suédoise, elle rencontre Lars, le responsable de la communication de LKAB, la société qui exploite la mine. Lars est un contact, une source. Et c’est, aussi, un personnage. On ne dit pas que les chercheurs, géographes ou anthropologues, ne sont pas sensibles à la beauté des cartes ou à la qualité humaine de la rencontre avec un interlocuteur, mais d’ordinaire ils n’en font pas état dans leurs c


Jean-Michel Frodon

Journaliste, Critique de cinéma et professeur associé à Sciences Po

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