Littérature

Du temps où on savait lire – sur Soixante ans de journalisme littéraire de Maurice Nadeau

Critique

Réunissant en 1500 pages plus de 500 articles de Maurice Nadeau, « les années Combat, premier tome de Soixante ans de journalisme littéraire , s’offre comme une tranche d’histoire littéraire mais aussi comme un document exceptionnel sur la réception des œuvres avant qu’elles ne deviennent des classiques. Le fondateur de feu La Quinzaine Littéraire y déploie un art de la lecture qui est aussi un modèle de critique littéraire.

Ne le sait-on plus ? N’écrit-on plus d’articles de critique littéraire ? Celui que vous lisez prouverait le contraire, d’autant que le journal qui l’accueille ouvre largement ses espaces à cette réflexion. La formule veut plutôt indiquer que la nature de la critique littéraire, au travers de ses motifs et de ses visées, a changé depuis 10 ou 20 ans. Pour s’en convaincre, il suffit de voir la place réduite qu’elle occupe désormais dans la presse écrite, dans la production radiophonique ou télévisuelle. Quant aux journaux et revues consacrés à la littérature, ils fluctuent au gré des difficultés financières ou autres et lorsqu’ils affichent un certain succès, c’est davantage par un traitement du livre considéré comme produit culturel émanant de l’industrie du même nom, un produit de consommation et non une œuvre de création.

Mais, objectera-t-on, il s’agit de journalisme littéraire et la critique littéraire occupe un champ plus vaste, plus ambitieux et sans doute plus noble. Non, le journalisme en est un mode de diffusion, au côté du travail essayistique, de la recherche universitaire ou encore de la rédaction de préfaces et de commentaires et Soixante ans de journalisme littéraire, le recueil des articles écrits par Maurice Nadeau entre 1945 et 1951, ses « années « Combat » » du nom du journal qui les recueillit en majorité, le prouve, apportant au journalisme une force et une dignité égale à celle des autres écritures.

Il me faut reconnaître que je n’aurais peut-être pas adopté un titre autant virulent si n’était survenue, lors de la lecture du recueil de Maurice Nadeau, la nouvelle de la disparition de Jean Starobinski. Parce que les deux écritures, que l’une soit « journalistique » et l’autre plus « savante », participent d’une même critique littéraire telle qu’elle a pu s’exercer et dont la puissance semble aujourd’hui amoindrie. Un art de la lecture comme il est un art de l’écoute. Un mot-clé à cet égard : l’attention. Prêter attention et faire attention. Prête


Alexis Nouss

Critique, Professeur en littérature générale et comparée

Rayonnages

LivresLittérature